Off : mille et une pièces… et des débats

Toujours plus proliférant, le festival marginal propose un millier de spectacles. À l’heure où la politique culturelle se reconfigure, il invite aussi à réfléchir à l’avenir de compagnies liées au tissu social.

Gilles Costaz  • 3 juillet 2008 abonné·es

Le fossé se creuse entre le « in » et le « off ». De plus en plus de spectacles dans le second, tandis que la manifestation officielle reste stable. Entre les responsables des deux festivals, la courtoisie de façade se traduit par des rencontres régulières mais aussi par l’absence de projet commun et de concertation. La preuve : les deux événements débutent et finissent à des dates différentes. Le « in » démarre le 4 juillet, le « off », le 10. En fait, certaines équipes du « off » joueront plus tôt pour ne pas perdre l’effet de lancement et ne pas manquer certains visiteurs professionnels. D’où une impression de programmation désordonnée. Ce sera étrange, la parade d’ouverture du « off », le 9 juillet dans l’après-midi, alors que la ville sera festivalière depuis quelques jours !
Chacun justifie sa décision. Vincent Baudriller, codirecteur du « in », affirme : « Nous avons pour principe de commencer à l’approche d’un week-end et avant le 14 juillet, jour d’arrêt du travail pour toutes nos équipes. Le 4 juillet s’imposait. Nous avons appris que le off débuterait le 10 en raison des impératifs du système scolaire. Nous n’y sommes pour rien, et j’ai été le premier surpris. Chacun commence comme cela lui convient. » Greg Germain, vice-président du off, explique de son côté : « De nombreuses compagnies ne pouvaient jouer avant cette date : certaines salles de théâtre sont des collèges où le travail ne finit que début juillet ; le public, lui, vient quand commencent les vacances scolaires. La direction du festival officiel a pris la date du 4 juillet et a juste répondu à nos protestations que c’était prévu comme ça ! »
Faut-il ajouter que le festival de Villeneuve-lez-Avignon, de l’autre côté du Rhône, qui ne veut pas être défini comme un élément du « off », dure, lui, du 4 au 20 juillet, pour mieux participer à la confusion générale ?

Illustration - Off : mille et une pièces... et des débats


La parade d’ouverture du festival « off », l’été dernier à Avignon.
Palazon

Quoi qu’il en soit, le « off » sera proliférant. Alors que des compagnies arrivent toujours au dernier moment, sans s’inscrire dans le précieux journal du « off », le chiffre atteint à la fin juin est d’un millier de spectacles et d’une cinquantaine d’événements parallèles. C’est trop, bien sûr, pour le visiteur, même le plus gourmand. Mais qu’y faire ? Les compagnies, et même pas mal d’acteurs connus (Sarah Biasini, Jean-Paul Farré, Philippe Caubère pour ne citer qu’eux), ainsi que des théâtres subventionnés veulent absolument être là. Statistiquement, les équipes d’Île-de-France sont majoritaires : elles seront 253, contre 114 venues de Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Pour les étrangers, les Belges seront les plus nombreux (avec 29 compagnies), tandis que les Suisses et les Roumains (une petite dizaine, chacun) dépassent les Taïwanais (5) et les Américains (3). Qu’est-ce qui attire ces saltimbanques dans cet eldorado où quatre-vingt-dix-neuf aventuriers sur cent repartent endettés ou ruinés ?
« Cette profusion est un signe de vitalité, analyse Greg Germain. Le “off” est vivace et capable d’un grand renouvellement. On ne peut pas empêcher un festival de grandir ! Ces compagnies viennent rencontrer un public exigeant, montrer leurs spectacles aux acheteurs et à la presse, et jouer presque un mois (et pas une fois ou deux). Enfin, du point de vue des Assedic, c’est important : les acteurs et les techniciens touchent vingt-trois cachets pour le festival. » Ceux qui y trouvent leur intérêt, sans prendre de grands risques, ce sont les loueurs de salle avignonnais : certains d’entre eux encaissent 15 000 euros par créneau horaire sur toute la durée du « off ». Quand on sait que des théâtres comptent deux salles et huit spectacles par jour, on peut calculer les bénéfices engrangés !

Pourtant, 2 008 semble être, pour le « off », l’année de la réflexion et de la moralisation. L’organisation d’un nombre important de débats a été confiée à Christophe Galent. Ces rencontres traiteront des thèmes communs à certains spectacles mais s’interrogeront surtout sur l’histoire et l’identité du « off ». Il ne faut pas oublier que le président de l’association qui le dirige, le poète André Benedetto, directeur du théâtre des Carmes, a inventé le « off » en 1966. C’est lui qui s’est dressé non pas contre Jean Vilar, mais face à lui, en affirmant qu’il fallait également proposer une autre forme de théâtre. Un autre Avignonnais, Gérard Gélas, l’a rejoint en 1968. Ces deux-là sont toujours présents et ont repris en main, avec une nouvelle génération, cette manifestation anarchique qui, s’amplifiant jusqu’à la folie, a suscité récemment des convoitises et des guerres fratricides.
« Pour ces débats, nous avons aussi invité la critique, dit Christophe Galent. Nous lui ouvrons un espace qu’elle a été très heureuse de prendre. En ce moment, toute la politique culturelle se reconfigure. Les grandes salles s’inscrivent dans des réseaux européens. Les petites souffrent et se demandent quel sera leur avenir. Les troupes du “off” sont davantage liées au tissu social que les troupes du “in”. Avec 10 000 représentations, le “off” est un catalyseur de tout ce qui va se jouer au niveau national. Le festival et les rencontres vont obliger chacun à prendre position. Il faudra avoir de plus en plus de partenaires, développer la politique de résidences de création, affirmer son identité, pratiquer la mobilité. Nous dialoguerons au niveau national dans l’espoir que les prises de conscience permettront à la création française de ne pas voler pas en éclats dans les années qui viennent. »

Le « off » fait l’objet d’une forte tentative de lisibilité et de moralisation. Ce qui enthousiasme son vice-président, à condition que la règle du jeu soit considérablement améliorée. « C’est un festival autofinancé, affirme Greg Germain. Avec les moyens que nous réunissons, nos fonds de soutien à la diffusion et à la création, nous pouvons agir en nous passant des tutelles. Le « off » est dans une période de refondation. Il prend conscience de sa force et de sa raison propre. Mais nous devons nous améliorer de l’intérieur et nous confronter à l’idée européenne. »
Déjà, pour la lisibilité, la nécessaire distinction entre compagnies professionnelles et amateurs apparaît sur tous les documents. Saura-t-on un jour quelles troupes payent leurs acteurs et lesquelles jouent gratuitement ? « Dans le théâtre, il y a du travail au noir comme dans toutes les activités en France, répond Greg Germain. “Mettez de l’ordre dans le off !”, nous a dit la ministre. J’ai répondu : “Non, c’est à vous de le faire et nous sommes prêts à travailler avec vous.” » Quels sont les théâtres où les conditions financières et techniques sont bonnes ou acceptables ? L’association émet des recommandations, mais il faut aller vers plus de transparence. Un pas définitif sera franchi quand une charte du « off » sera établie. Pour jeter les bases de sa rédaction, quatre séances de discussion ouvertes à tous auront lieu du 28 au 31 juillet.
« Le “off” ne sera plus jamais comme avant » , proclame Greg Germain. À vérifier cet été.

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