Le Quichotte français

Quelque trente ans après Cervantès, un Languedocien s’empare du héros espagnol et en tire une comédie en vers. Une brillante redécouverte.

Gilles Costaz  • 18 septembre 2008 abonné·es

Quelle découverte pour les non-spécialistes ! Une vision française de Don Quichotte écrite en vers en 1640. Le nom de son auteur, Daniel Guérin de Bouscal, ne figure pas dans beaucoup de dictionnaires du théâtre et de la littérature. Il faut aller chercher sa trace dans des ouvrages fort érudits, et la pièce dans une édition « reprint ». Ainsi apprend-on au passage que ce Guérin de Bouscal, Languedocien qui vécut à Paris avant de rentrer chez lui pour occuper des fonctions de « consul catholique » pas très croyant, a écrit trois comédies à partir du thème de Don Quichotte. L’ouvrage de Cervantès avait paru entre 1605 et 1615, et toute l’Europe s’était enthousiasmée pour ses deux héros. Notre Français du Sud-Ouest écrivait auparavant des pièces sur des thèmes pastoraux ou antiques. Il se saisit avec passion du mythe naissant venu d’Espagne…

Une jeune compagnie, Farenheit 451, et son metteur en scène, Christophe Gauzeran, ont eu l’idée de porter l’une de ces comédies à la scène, tout simplement appelée Don Quichotte. Cette troupe, qui en est à son troisième spectacle après Croisades de Michel Azama et Gelsomina de Pierrette Dupoyet, d’après Fellini, privilégie le langage du cirque dans l’expression théâtrale. Les comédiens sont très physiques ; ils font des cabrioles, pratiquent l’escrime et, pour certains, font du trapèze. Il y a même beaucoup de trapèzes et de cordes aériennes dans ce Don Quichotte avec trois comédiennes, Juliette Croizat, Caroline Siméon et Isabelle Helleux, capables de tourner dans le ciel et de dire les alexandrins tout en virevoltant. Et leurs partenaires masculins ne sont pas en reste !

Le texte de Guérin de Bouscal n’est pas de nature à changer notre regard sur l’œuvre de Cervantès. Mais, de même que le Don Quichotte de Da Silva donné la saison dernière à la Comédie-Française apportait un point de vue portugais à cette fable (un point de vue plus tardif, puisque du XVIIIe siècle), celui-ci l’accommode à l’esprit français et fait briller une drôlerie farfelue. « Malgré une radicalité comique, Guérin de Bouscal met en valeur l’ambiguïté de Don Quichotte pour en montrer la folie mais aussi l’étrange sagesse dont il fait preuve, sa volonté d’absolu » , dit justement Christophe Gauzeran.
Le spectacle est en lui-même un roman constitué d’une succession d’épisodes enchaînés avec une fougue voluptueuse. Les tableaux sont volontiers baroques. Philippe Beautier est un Sancho Pance (et non Pansa) à la belle fantaisie émouvante. En Don Quichotte, Alain Carnat se coule parfaitement dans l’image traditionnelle du chevalier de Cervantès pour mieux donner vie à son estampe. Philippe Beheydt, Romain Guimard, Christophe Gauzeran, Manuel Martin, Laurent Mothe et les actrices dont nous parlons plus haut donnent une flamboyance continue à une soirée savamment échevelée.

Don Quichotte, Vingtième Théâtre, Paris, 01 43 66 01 13. Jusqu’au 26 octobre, À 19 h.
Dans la même salle, à 21 h 30, les Folies amoureuses de Regnard dans une mise en scène savoureusement parodique de Pascal Zelcer.ꆱ

Culture
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