Malmö, bien parti

Le Forum social européen, qui se tient pour la première fois en Europe du nord, en Suède, porte une attention particulière aux questions sociales et environnementales, et prépare les rendez-vous de 2009.

Patrick Piro  • 18 septembre 2008 abonné·es

Cinquième édition pour le Forum social européen (FSE) : après Florence (2002), Paris (2003), Londres (2004) et Athènes (2006), le rassemblement continental des altermondialistes se tient cette année en Suède, à Malmö. Ouvert le 17 septembre, il se clôturera le 22 par une traditionnelle « assemblée des mouvements sociaux », où devraient se décider plusieurs actions communes pour l’année 2009.
Après l’enchaînement effréné des pre­mières années, le FSE, qui a lieu désormais tous les dix-huit mois (environ) depuis celui de Londres, semble avoir trouvé un rythme plus conforme à la capacité des organisations participantes, un moment guettées par la surchauffe. Une « normalisation » qui n’est pas synonyme d’essoufflement ou de perte d’utilité : le FSE s’est affirmé comme l’un des rares espaces européens de résistance et de propositions dans une Union qui multiplie les ancrages dans ­l’économie libérale, érode les droits sociaux élémentaires (travail, protection, services publics, etc.), la démocratie (contestation du référendum irlandais…) et les libertés (traitement de l’immigration, mesures sécuritaires…). Profil du forum de Malmö, en trois chapitres.

Illustration - Malmö, bien parti

Des manifestants grecs lors du Forum social européen à Paris, le 15 novembre 2003. Saget/AFP

Préparer 2009, année charnière

Le FSE se saisira largement d’une actualité européenne chargée, pour tenter de faire pression sur plusieurs événements importants en 2009.
L’Union européenne, en effet, élira, en mars prochain, ses représentants au Parlement de Strasbourg, dominé par la droite. Plusieurs campagnes d’interpellation des candidats devraient être décidées à Malmö sur des questions brûlantes comme l’immigration, la défense des services publics, des droits sociaux, etc.
Les institutions de l’Union feront l’objet de débats, alors que l’Irlande a rejeté en juin le traité simplifié de Lisbonne, comme le FSE d’Athènes s’était appuyé sur le « non » de la France et des Pays-Bas au Traité constitutionnel européen. L’intérêt même de l’Union actuelle sera questionné, en particulier par des militants suédois, qui considèrent que l’Union a tiré son modèle social vers le bas. Il est révélateur que le terme « Europe » ait disparu du slogan retenu pour le FSE : « Le pouvoir au ­peuple, contre le capitalisme et la destruction environnementale. Un autre monde est possible ! »
Par ailleurs, le prochain sommet de ­l’Otan, qui fêtera ses 60 ans, se tiendra en avril simultanément à Kehl (Allemagne) et à Strasbourg, alors que le président Sarkozy a décidé que la France réintégrerait pleinement le commandement unifié de l’organisation militaire. Un contre-sommet et une manifestation sont prévus à cette occasion « pour signifier que l’Otan, loin d’être un facteur de sécurité en Europe, est un foyer de tension supplémentaire » , appuie Gérard Halie, du Mouvement de la paix. Alors que des soldats européens sont toujours en Irak et en Afghanistan, mais surtout sur fond de relance de guerre froide, avec la déstabilisation du Caucase et l’accord obtenu cet été par les États-Unis pour installer leur bouclier antimissile en Tchéquie et en Pologne, considéré par la Russie comme une agression.
De plus, en juillet, le G8 se retrouvera à nouveau en Italie (sur l’île de la Maddalena, en Sardaigne), huit ans après la réunion de Gênes, où la violente répression des manifestations antilibérales avait causé la mort d’un protestataire, Carlo Giuliani.
Enfin, la lutte contre le dérèglement climatique connaîtra un rendez-vous crucial fin 2009 : la conférence annuelle des Nations unies sur la question doit impérativement ébaucher un traité à la hauteur du défi climatique pour succéder au Protocole de Kyoto, qui arrive à échéance à partir de 2010. L’Union européenne aura une responsabilité majeure dans sa réussite. Pour la première fois, un Forum social européen affiche la crise écologique en tête de ses préoccupations, comme l’exprime son slogan.

Les enjeux suédois

C’est la première fois qu’une manifestation altermondialiste d’importance se tient dans un pays scandinave. Le mouvement, qui poursuit son expansion dans plusieurs régions du monde sous forme de multiples forums régionaux, n’y est pas encore très implanté. Il a même laissé dans ­l’opinion suédoise un souvenir mitigé, après les heurts violents qui ont marqué les manifestations d’opposants au sommet européen de Göteborg en 2001.
De fait, le Comité d’organisation nordique du FSE (Nordic Organizing Committee, NOC), comprenant des organisations suédoises, finlandaises et norvégiennes, a peiné pour se constituer et trouver ses marques. Les Danois, en désaccord, s’en sont retirés. Pourtant, la situation s’est améliorée au fil des mois, le NOC parvenant à agréger un nombre croissant d’organisations. Et notamment quelques syndicats, dont le puissant Landsorganisationen i Sverige (LO), à dominante ouvrière et proche des sociaux-démocrates. Cette confédération, malgré la perte d’un quart de ses adhérents depuis 2000, reste la première du pays avec 1,6 million d’adhérents environ, soit encore la moitié des syndiqués d’un pays, où ils représentent 78 % des travailleurs.
Les deux principales chevilles ouvrières de ce FSE, côté Suède, sont les écologistes des Amis de la Terre-Suède, assez radicaux, et le mouvement Attac-Suède (dont le lien avec les Attac nordiques a favorisé la constitution du NOC). Actives dans le Réseau suédois « Common Welfare » (pour le « bien commun ») de défense du modèle social nordique, ces associations y jouent un rôle important de sensibilisation aux idées de l’altermondialisation. Elles misent sur le FSE pour « accroître leur audience » , souligne Hélène Cabioc’h, de l’association de solidarité internationale Aitec : comme c’est de tradition, les enjeux locaux y seront largement débattus : protection sociale, défense des services publics, protection de l’environnement, dérèglement climatique, etc.

Bienvenue à l’Est

Les organisateurs ont souhaité faciliter la participation en nombre de militants des pays de l’Est, apparus en groupes plus visibles lors du FSE d’Athènes. « Il y a eu une vraie mobilisation » , relève Gus Massiah, président du Crid, collectif de 54 associations de solidarité internationale. L’Assemblée préparatoire européenne [^2] a ainsi tenu une réunion à Kiev (Ukraine), et le NOC a organisé une tournée de mobilisation jusqu’en Turquie [^3]. Pour réduire les frais des participants issus de ces pays à faibles revenus – le coût de la vie est élevé en Suède –, un système de péréquation a été instauré. Le droit d’accès pour les Occidentaux s’élève ainsi à 40 euros. On attend cependant quelque 20 000 participants, dont la moitié d’Europe du Nord.
Autre ambition des organisateurs, sen­sibles aux équilibres sociaux : à chaque tribune, placer au moins un intervenant de l’Est, mais aussi des jeunes et des femmes, à parité avec les « seniors » masculins.

[^2]: Groupe assez informel qui veille à la pérennité des FSE.

[^3]: Qui accueillera le FSE 2010, tout un symbole… Le prochain Forum social mondial se tiendra à Belém (Brésil) en janvier 2009.

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