Des auteurs face au public

Pour la vingtième édition de « Lire en fête », les lectures publiques feront une large place au théâtre. L’occasion pour le public de découvrir de nouveaux auteurs et comédiens. Enquête à Paris et à Nantes.

Gilles Costaz  • 2 octobre 2008 abonné·es

La manifestation « Lire en fête » a 20 ans. Ces trois jours de lecture publique et forcenée se dérouleront à travers la France et les pays qui se sont ralliés à cette idée : on parle de 4 000 événements de Paris à l’Oural ! La Nuit de l’écrit (le 10 octobre) s’annonce comme particulièrement foisonnante : on lira jusqu’à une heure avancée et on dansera (qu’est-ce qu’un « bal littéraire » ? Une java des mots ?). L’association les Écrivains associés de théâtre (EAT) est activement partie prenante de l’opération. Elle ne milite pas pour les classiques mais pour les modernes. Que va-t-elle faire et proposer ?
« Je pense que le sort du théâtre et celui du livre sont liés, dit Jean-Paul Alègre, président des EAT. Comme ils le sont dans l’existence de la démocratie depuis toujours. La pièce de théâtre est un acte littéraire comme les autres, et la pièce éditée un livre comme les autres. Au cours de cette Nuit de l’écrit, nous voulons montrer qu’on peut réussir, avec des textes de théâtre, des lectures a priori impossibles dans des lieux improbables. Nous allons jusque dans des granges et des prisons. Cela passe par des passerelles avec des gens du terrain : des compagnies amateurs, des groupements de lecteurs, de foyers ruraux… Les pièces, les extraits de pièces, les inédits écrits pour l’occasion sont lus par des acteurs, professionnels ou amateurs, ou par les auteurs eux-mêmes. Pour les auteurs aussi, c’est une chance. Cela permet de faire résonner leurs textes. Parfois, les auteurs lisent moins bien qu’un comédien, mais ils le font entendre autrement. »
Dominique Paquet, Matéi Visniec, Florence Camoin, Henri Gruvman, Michèle Laurence, Philippe Touzet, Huguette Hatem, Luc Girerd, Luc Tartar, Nathalie Fillion sont certains des écrivains qui participent à « Lire en fête » côté textes de théâtre. Tant d’autres seraient à citer !

Il importe d’aller voir en région ce que peut signifier et apporter cette action. Est-ce une goutte d’eau ou un moment décisif à l’intérieur de la saison ? C’est à Nantes que nous nous sommes rendus, dans le théâtre de la salle Vasse, qui ne reçoit pas l’aide du ministère mais est soutenu par la Ville, le Département et la Région. La salle Vasse fonctionne de septembre à mai en bénéficiant très rarement d’un coup de projecteur des médias régionaux. « Tout se sait par le bouche à oreille, le coup par coup, disent ses deux directeurs, Michel Valmer et Françoise Thyrion. Les gens passent et décident de rester. Nous sommes à la limite du café-bistrot ! Le public est assommé par la télévision. Pourtant, la curiosité culturelle n’a pas disparu. Les gens adorent faire du théâtre et, quand ils n’en font plus, ils y vont. Les ateliers de théâtre restent une pratique indispensable. Nos premiers interlocuteurs, ce sont les professeurs, surtout les profs de lettres. Ils savent que l’amour des mots et des textes naît du théâtre et de l’atelier de théâtre. »
Que se passera-t-il à la salle Vasse à Nantes les 10, 11 et 12 octobre ? Des lectures dans la salle et dans le hall, des rencontres avec Jean-Paul Alègre et d’autres auteurs. Il y aura des élèves du collège Rutigliano dans le public et sur les scènes, spectateurs et parfois lecteurs à voix haute. Les pièces choisies ne sont ni très connues ni sagement divertissantes. Dans Dictionnaire Jeanne Ponge de Fabienne Mounier, une petite fille se souvient de sa grand-mère institutrice. Dans le Bout du monde d’Élie Pressmann, des exclus refont le monde et le théâtre au fond d’un cave. Dans les Maîtres fugueurs de Dominique Paquet, 32 personnages évoquent leur vie dans la tour qu’ils habitaient et qu’on va détruire. Cette dernière pièce sera lue par 32 acteurs amateurs – et ceux-ci viennent de toutes les couches sociales : médecins, employés…

En plus de faire partager un texte et de donner au public un éventuel plaisir de découverte, l’entreprise a d’autres perspectives. D’abord, elle entend confronter le théâtre amateur à un répertoire neuf. « Il faut que les compagnies d’amateurs aient la connaissance d’autres auteurs que Jean-Michel Ribes et Yasmina Reza, des écrivains que nous aimons, mais au-delà desquels il faut aller pour chercher dans la richesse de ce qui s’écrit, dit Françoise Thyrion. Et il faut éviter Laurent Ruquier, qu’on nous propose quelquefois ! Cette manifestation fait vraiment circuler les textes. À Nantes, la population se méfie de ce qui vient de Paris. Il y a le palais de Justice de Nouvel, les sculptures de Buren. Cela les rend soupçonneux ! On doit leur montrer des œuvres qui viennent de Paris et de toute la France. »
Au plus profond de cette aventure, qui a un goût parfumé de vendanges, s’affirme aussi une nouvelle attitude de l’auteur. « Nous respectons la démarche des écrivains qui travaillent dans la solitude, dit aussi Françoise Thyrion. Mais je crois – et je le sens à l’intérieur des Écrivains associés de théâtre – que nous sommes entrés dans une autre époque, celle où l’auteur fréquente le public, les associations, les relais. Cela n’exclut pas la beauté des textes. J’ai un peu connu Jean-Luc Lagarce. Il participait à toutes les réunions, écoutait ce qui se disait ici et là. Et c’est un grand auteur ! »

Culture
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