Genèse d’un départ annoncé

Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez n’ont pas attendu l’épilogue du congrès de Reims pour claquer la porte du PS. Une décision mûrement réfléchie depuis le référendum de mai 2005.

Michel Soudais  • 13 novembre 2008 abonné·es

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Derrière les micros qu’on installe, Jean-Luc Mélenchon, les yeux creusés par la fatigue, blague. Autant pour tuer le temps que conjurer un trac difficilement dissimulable. Il n’est pas encore 14 h 30, et déjà le bureau n° 2 de l’Assemblée nationale déborde de monde pour une conférence de presse d’explication. Par égard pour les journalistes qui peuvent encore arriver à l’heure, le sénateur de l’Essonne retient ses mots. Dans la matinée, il a franchi son Rubicon. « Nous quittons le Parti socialiste », a-t-il écrit dans un communiqué cosigné avec le député du Nord Marc Dolez. Ce départ prévisible, logique même, a néanmoins pris tout le monde de court. Les journalistes comme ses alliés au sein du PS. Car le congrès de Reims n’est pas fini.
La veille, les militants ont voté pour départager les six motions soumises au débat. Il reste encore à rassembler une majorité pour gouverner le PS, désigner ensuite un Premier secrétaire… Sans attendre la fin de la partie, les deux parlementaires ont dit : « Ça suffit comme ça ! »

Illustration - Genèse d’un départ annoncé

Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez donnent une conférence de presse d’explication, le 7 novembre.
M. Soudais

Après avoir voté dans la section de Massy, qu’il a intégrée en 1978, Jean-Luc Mélenchon a rejoint son bureau au Sénat. Les résultats des fédérations confirment l’analyse résumée dans l’Humanité du 5 novembre par François Delapierre : la gauche du PS est « dans une impasse », condamnée « à des “arrangements” qui seront des illusions ou à un refus qui [la] cantonne dans son opposition stérile ». Une équipe de téléTOC filme ces instants où tout bascule. Cette télé du web avait décidé de suivre un dirigeant du PS pour vivre à travers ses yeux la préparation et le déroulement du congrès ; trois épisodes de « Monsieur Mélenchon » ont déjà été diffusés. Le quatrième sera le dernier. À 2 heures du matin, c’est le coup de théâtre. Dans les couloirs déserts du palais du Luxembourg, le sénateur de l’Essonne commente le résultat du scrutin. Il est « décevant » . La gauche du parti n’est « pas cher payée » de ses efforts. « L’ancienne majorité est restée majoritaire » et, à l’intérieur de celle-ci, c’est la ligne de l’alliance avec le centre qui l’emporte. « Je tourne la page » , annonce-t-il sobrement.
Le communiqué envoyé dans la matinée à toutes les rédactions précise cette analyse. Le « résultat est sans ambiguïté » , écrivent Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez, qui enregistrent que « les trois motions issues de la majorité sortante du PS arrivent en tête » , totalisant « 80 % des suffrages ». « Les orientations qui dominent la social-démocratie européenne l’ont emporté alors qu’elles conduisent partout à l’échec. » Ils ne voient pas comment « le score respectable de la gauche du parti » pourrait y changer quelque chose et refusent donc de « se renier en participant à des complots et des combinaisons tactiques ».

Convaincus que « la future direction du PS appliquera l’orientation majoritaire » quels que soient les arrangements qui sortiront du congrès de Reims, ils ne s’imaginent pas aux prochaines élections européennes accepter ce qu’ils refusent « depuis toujours » : « le traité de Lisbonne et le Manifeste commun des partis sociaux-démocrates qui gouvernent avec la droite dans leur pays » . Sans attendre, ils annoncent leur décision de poursuivre leur combat devant les électeurs. Décidés à engager « avec tous ceux qui partagent [leurs] orientations la construction d’un nouveau parti de gauche » sans concession face à la droite, ils appellent « à la constitution d’un front de forces de gauche pour les élections européennes ». Tout cela est connu quand commence la conférence de presse. Entouré d’une vingtaine de proches – élus régionaux, conseillers de Paris, conseillers généraux et municipaux, membres du bureau national et du conseil national du PS ou simples militants –, Jean-Luc Mélenchon veut montrer que le signal du départ qu’il vient de donner était attendu. « Nous mettons nos pas dans ceux d’Oskar Lafontaine pour ne pas connaître le sort qu’a connu la gauche italienne » , précise-t-il d’entrée. À ses côtés, Marc Dolez opine. Les deux hommes comptent se tourner vers « tous ceux qui sont disponibles » : « Le PC en tout premier lieu mais également le NPA, que nous ne considérons pas comme un ennemi » . Un site Internet, qui reprend le titre de leur communiqué, « Ça suffit comme ça ! » , est ouvert pour recueillir les premières adhésions.
Dans les rangs socialistes, ce départ suscite peu de réactions officielles. Est-ce parce que celui-ci était annoncé depuis trop longtemps ? Ou parce qu’à force d’en repousser l’échéance beaucoup avaient fini par ne plus y croire ? Les partisans de Benoît Hamon s’étonnent de ce qu’ils estiment être une « désertion » ; ils veulent croire que la candidature maintenue du jeune député européen à la succession de François Hollande leur permettra de gagner le congrès. Ou, comme l’écrit Gérard Filoche, d’ « éviter le pire » en rassemblant tous ceux qui ne veulent pas de Ségolène Royal, soit 70 % des militants. Rallié à cette dernière, Julien Dray, qui avait fondé la Gauche socialiste avec Jean-Luc Mélenchon à la fin des années 1980 et a partagé tous ses combats jusqu’en 2002, croit savoir que la question de l’alliance avec le MoDem « est une esquive ».

La rupture de ce 7 novembre prend sa source dans la campagne du « non » au référendum sur le traité constitutionnel européen. Longtemps mitterrandiste convaincu, le sénateur de l’Essonne avait parfois fait preuve d’indiscipline à l’égard des positions du PS – en 1990, il s’était opposé à la guerre du Golfe –, mais jamais il n’était allé dans la rébellion ouverte. De cette campagne, conduite avec l’association Pour la République sociale (PRS), créée quelques mois plus tôt, aux côtés du PCF, de la LCR et de toutes les forces de gauche engagées pour le « non », Jean-Luc Mélenchon avait avoué, à l’automne 2005 [[
« La dimension invisible du non », texte publié dans la Revue socialiste, septembre 2005.]], n’être pas sorti indemne : « La chaîne et la continuité du sentiment commun vécu par tous les socialistes se sont rompues dans la campagne référendaire » , écrivait-il en assurant qu’après avoir été « brûlé » dans la ferveur populaire du « non » de gauche il ne ferait « plus machine arrière ».
Au congrès du Mans, il donne pourtant l’impression de rentrer au bercail en se rangeant derrière Laurent Fabius, dont il soutient la candidature à la désignation présidentielle, persuadé que seule l’élection d’un partisan du « non » peut réorienter la construction européenne dans le sens voulu par les électeurs, le 29 mai 2005. Il admettra dans un livre d’entretien avec l’auteur de ces lignes, En quête de gauche (Balland), paru à l’été 2007, que la synthèse acceptée alors avait été une erreur et un marché de dupes. On ne l’y reprendra plus.
Dans cet essai, rédigé au lendemain de la défaite de la gauche à la présidentielle et aux législatives, il analysait longuement l’évolution idéologique du PS et de la gauche européenne, remontant aux origines d’une droitisation à laquelle les socialistes français avaient longtemps résisté. Ce constat le conduisait à plaider la nécessité d’ « une force politique nouvelle » à gauche, seul moyen, à ses yeux, d’ouvrir un autre chemin que celui qui menace la gauche de disparition. Toutefois, alors que PRS venait de définir la perspective de cette « gauche d’après » dans un texte stratégique, Jean-Luc Mélenchon ne s’était pas encore résolu à quitter le PS.
En l’absence d’alternative, il se raccrochait à l’espoir (mince) de faire bouger le PS et déclarait vouloir « participer loyalement au débat interne ». « Mais je tirerai toutes les conséquences des conclusions auxquelles aboutira cet exercice, avertissait-il. Je ne m’arrêterai pas à mi-chemin. » Parole tenue.

Politique
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