Danses de mort

« Feux », farce cruelle et désespérée, réhabilite un auteur méconnu, August Stramm.

Gilles Costaz  • 11 décembre 2008 abonné·es

On connaît peu en France August Stramm, malgré les belles traductions de ses pièces qu’en ont faites Huguette et René Radrizzani. Cet Allemand d’Alsace, au temps où l’Alsace n’était pas française, mourut à 41 ans, en 1915 : soldat de l’armée germanique, il fut tué sur le front russe. Son œuvre est étrange, révoltée, obsédée par un érotisme frénétique qui met à mal les conventions sociales. Les metteurs en scène Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma, qui ont l’originalité de travailler en duo, ont réalisé un spectacle à la fois divers et uni, à partir de trois petites pièces, Feux, qui fut mal-aimé et même incompris au dernier festival d’Avignon.
Dans la première comédie, un couple assez mal assorti se réveille, persuadé d’échapper à la mort par asphyxie puisque l’un d’eux avait ouvert le gaz la veille. Ils peuvent recommencer le coït et les querelles, inattentifs à la mort du bébé qui s’est produite pendant la nuit. Dans la seconde pièce, une femme est cernée par son entourage et sa famille, voit sa solitude brisée et réagit par le meurtre. Dans la troisième pièce, une danse de pouvoir, d’amour et de mort se joue entre une jeune femme mariée, une rivale et le mari.

Le tout tient de la farce de cabaret, de la distorsion expressionniste, du dialogue désespéré façon viennoise (à la Schnitzler) et de l’explosion libératoire post-freudienne. August Stramm trouve de nouvelles voies théâtrales et ne les exploite qu’à moitié. Ce n’est pas toujours abouti ou convaincant, mais toujours saisissant. Jeanneteau et Soma ont su traiter ces trois textes comme trois visions qui ont chacune leur style. La mise en scène, d’une grande élégance froide et brûlante, découpe différemment l’espace et l’ombre, d’acte en acte. Julie Denisse, Jean-Louis Coulloc’h et Mathieu Montanier sont en même temps animaux et raffinés. Dominique Reymond, elle, donne au trivial ce que, dans le grand monde, on appelle la classe.

Culture
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