Splendides frustrations

Carlotta Films publie un nouveau coffret de quatre mélodrames de Douglas Sirk. Aux films splendides et corrosifs correspondent des suppléments stimulants.

Christophe Kantcheff  • 24 décembre 2008 abonné·es

Si Rainer Werner Fassbinder a pu revendiquer Douglas Sirk comme un ­maître, c’est parce que ce représentant du classicisme triomphant des années 1950, ce héraut du mélodrame ne s’exprimant parfaitement qu’au sein d’une production hollywoodienne haut de gamme, sentait singulièrement le souffre. Il suffit de voir Dorothy Malone en combinaison dans l a Ronde de l’aube , se mouvoir dans le noir et blanc sensuel du très grand chef opérateur, Russell Metty, pour être saisi par la charge érotique explosive de la comédienne, alors que le code Haines imposait une pudibonderie d’intégriste aux films américains. Plus encore, la meilleure part du cinéma sirkien repose sur des récits dont le moteur est la frustration des personnages, le plus souvent imposée par des conditions sociales et historiques.

C’est le cas des quatre films qui composent ce nouveau coffret de mélodrames que Carlotta Films propose – All I Desire (1953), Demain est un autre jour (1956), la Ronde de l’aube (1957) et le film le moins convaincant du lot, les Amants de Salzbourg (1957) – qui fait suite à un premier coffret tout aussi remarquable paru l’an dernier. Ainsi, dans All I Desire (le titre, déjà, est une indication, mais teintée ­d’ironie), une femme (Barbara Stanwyck) qui a abandonné son mari et ses enfants pour vivre sa vie de comédienne revient des années plus tard pour l’anniversaire de sa fille. C’est parce qu’elle a raté sa carrière que la chaleur du domicile familial, soudain, lui apparaît attractive.
Demain est un autre jour dynamite plus
encore les valeurs de la famille. Un homme (Fred McMurray), dont la femme est uniquement dévouée à ses enfants capricieux et normatifs, ­retrouve une ancienne amie (Barbara Stanwyck, grandiose à nouveau). Leur amour naissant comme un souffle de liberté est brisé net par l’étouffoir familial. Le dernier plan sur les enfants rassurés est un happy end d’une acidité terrifiante.

Quant à la Ronde de l’aube, il semble sorti tout droit d’Écrit sur du vent, réalisé peu de temps avant, avec les mêmes comédiens (Dorothy Malone, Robert Stack, Rock Hudson), une même présence envahissante de l’alcool, et la même ambiguïté sur les relations amoureuses. Adapté d’un roman moyen de Faulkner qui raconte la déchéance des pi­lotes d’avion héros de la Première Guerre mondiale contraints de se produire dans des numéros spectaculaires, le film utilise admirablement le scope pour inscrire ce récit d’amertume et d’amours gâchés dans une période, les années 1930, de dépression.

Chaque film est doublé d’un autre DVD qui comporte de nombreux suppléments : interview de Douglas Sirk réalisée en 1982 par Pascal Thomas et Dominique Rabourdin, considérations de deux spécialistes du cinéma classique américain, Jean-Loup Bourget et Pierre Berthomieux, souvenirs du critique Bill Krohn, interprétation critique de Jean Douchet, ou le film de John Stahl tourné en 1939, Veillées d’amour , dont les Amants de Salzbourg est un remake. Souvent passionnants, ces suppléments constituent un véritable appareil critique des quatre films du coffret.

Culture
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