Vous avez dit « succès » ?

Denis Sieffert  • 18 décembre 2008 abonné·es

La machine à consensus tourne à plein régime ces jours-ci pour nous faire avaler la leçon : la présidence française de l’Union européenne a été un succès. L’art de la métonymie étant ce qu’il est, les lauriers vont évidemment à un seul homme. La France, c’est lui. Point de sherpas, de conseillers, de ministres, Nicolas Sarkozy, comme d’habitude, éclipse son petit personnel. Le tout rehaussé de quelques anecdotes qui alimentent la gloriole nationale : il a, dit-on, rabroué les autres chefs d’État, privé de micro le président polonais, et s’est vanté d’avoir bouclé son sommet à 13 heures pétantes, à la hussarde ! Mais cela suffit-il à faire un « succès » ? Il n’est pas inintéressant de confronter ce bilan à quelques critères qui semblent échapper à la plupart des commentateurs : l’intérêt des peuples, leur bien-être social, voire la démocratie. Que dire, par exemple, de l’accord entériné par l’Union européenne ouvrant la voie à un nouveau référendum en Irlande sur le traité de Lisbonne ? Les Irlandais, on s’en souvient, avaient rejeté le traité européen lors d’une première consultation, en juin dernier. Eh bien, qu’à cela ne tienne ! Ils revoteront jusqu’à ce que leur vote vire au positif. C’est d’ailleurs la deuxième fois qu’on leur fait le coup. En 2002 déjà, ils avaient été sommés de dire « oui » au traité de Nice rejeté un an plus tôt. Vendredi dernier, à Bruxelles, sous la férule de Nicolas Sarkozy, le Premier ministre irlandais, Brian Cowen, s’est engagé à reconvoquer les électeurs aux urnes avant fin novembre 2009. Pour justifier ce tour de passe-passe, l’Union européenne a fait à l’Irlande une concession de taille : elle a accordé à Dublin le maintien d’un commissaire irlandais au sein de la commission de Bruxelles…

Non sans cynisme, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a donné son explication : « Je comprends, a-t-il dit, que les Irlandais aient besoin de quelque chose de palpable qui leur permet de dire : “Nous nous sommes battus et nous avons obtenu le commissaire.” » On imagine aisément que ce pays qui est entré le premier dans la récession, dès le mois de septembre, n’ait aujourd’hui qu’une obsession : son commissaire. On ne doute pas que ce peuple, frappé de plein fouet par la crise, et dont le gouvernement vient d’allouer des milliards aux banques en guise de « plan de relance », ait pour principale revendication le siège d’un de ses technocrates dans l’instance bruxelloise. Voilà donc ce qu’il est convenu d’appeler un « succès » de la présidence française et qui s’apparente bien davantage à une arnaque concoctée dans le dos des peuples. Encore les Irlandais auront-ils une chance que les Français n’ont pas eue : ils pourront revoter. Mais, pour rejoindre la plupart de nos confrères, osons cette conclusion : s’il s’agit de juger de la qualité de l’arnaque, c’est en effet un indéniable succès.

Mais revenons à notre bilan de la présidence française. Le sommet de Bruxelles a été marqué, quoique plus discrètement, par quelques déclarations de franche allégeance à l’Otan qui en disent long sur la nature de cette Union européenne. Selon une dialectique très au point, Nicolas Sarkozy a vanté « une politique [européenne] de défense indépendante » tout en « coopérant avec l’Otan » . Mais, entre une défense européenne qui n’existe pas et l’Otan qui existe bel et bien, l’équilibre de la formule vacille. D’autant plus que le président français a profité de la circonstance pour confirmer à mots à peine couverts le retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan en avril prochain. Son « arbitrage » cet été dans le conflit georgien était d’ailleurs fortement marqué de l’empreinte américaine. On a voulu voir un « succès » là où le président a dû finalement se résigner à entériner le rapport de forces sur le terrain.
À propos du troisième point – et non le moindre –, la crise économique, il faudrait une bonne dose de mauvaise foi pour prétendre que l’Europe a agi unie. Les plans dits de relance sont restés d’initiative nationale. Les uns orientés sur l’offre, et les autres sur la demande. L’apparent retour au volontarisme politique, et à l’intervention de l’État, n’a servi, en Europe comme aux États-Unis, qu’à sauver le capitalisme et à relancer la machine libérale. C’est un « succès » si l’on veut pour les banques qui ont échappé à la faillite. Pas pour les peuples.

Enfin, il y a le « plan climat ». Nicolas Sarkozy, là aussi, est parvenu à un accord avec ses partenaires les plus réticents : l’Allemagne, l’Italie et la Pologne. Mais chaque fois au prix de concessions qui relativisent ce qu’on a qualifié un peu vite de « succès ». Plutôt que d’aider massivement les pays de l’Est à se moderniser, on a préféré en rabattre sur les ambitions écologistes. Vous avez dit « succès » ? Qu’importe ! Une habile campagne de communication aura au moins servi à masquer les échecs de la politique intérieure. Et à atténuer les effets d’un premier recul sur la réforme des lycées. Mais, la présidence française de l’Union européenne, c’est fini.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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