Tarnac : l’opinion conditionnée

Pendant plus d’un an, des journalistes ont fidèlement relayé la propagande gouvernementale sur le « terrorisme d’extrême gauche », à grand renfort de «confidences» policières.

Sébastien Fontenelle  • 29 janvier 2009 abonné·es

Dès le 8 juin 2007, le Figaro hurle que « l’extrême gauche radicale » est « tentée par la violence » et que les « anarcho-autonomes » , en particulier, inquiètent beaucoup la police, car, déjà : « Dans les années 1970, cela s’est terminé par des bombes et des assassinats. » Dans la vraie vie, bien sûr, le printemps 2007 a été plutôt calme, aucune bombe n’a été posée, personne n’a été assassiné. Mais ce minuscule détail est de peu de poids lorsqu’il s’agit, comme l’écrira l’éditeur Éric Hazan [[« Les habits neufs de l’ennemi intérieur »,
Politis, 15 mai 2008.]], « de répandre l’idée d’un partage séparant la population, incarnée par son gouvernement, de quelques individus dangereux qu’il faut neutraliser dans l’intérêt de tous ». Et, dans cet exercice, le Figaro excelle, puisque c’est encore dans ses pages que Michèle Alliot-Marie confirme, le 1er février 2008, que, oui, décidément, on assiste à « un retour » , certes « limité, mais incontestable, du terrorisme d’extrême gauche ».
Le même jour, et dans le même registre, le Monde lance une alerte : « Les renseignements généraux sont formels : on assiste, en France, à la résurgence d’une mouvance, qualifiée pour l’heure d’“anarcho-autonome”, violente. » Si ce sont les RG qui le disent, ça doit être vrai : le Monde récite donc avec beaucoup d’application qu’ « à Bourges, le 23 janvier, un militant, Franck F., est retrouvé porteur de deux sacs d’un kg de chlorate de soude et de plusieurs documents, dont l’un, rédigé en italien, détaille la fabrication d’une bombe ».
Trois mois plus tard, le 1er mai, le Point fait chorus et pointe, sur la foi d’ « un récent rapport de la Direction centrale des RG » (évidemment « classé confidentiel » , mais que l’hebdomadaire a su récupérer à force d’ingéniosité), « la renaissance d’un terrorisme de nature idéologique ». Ainsi : « Le 23 janvier, un jeune couple a été arrêté par des douaniers au péage autoroutier de Vierzon. Déjà repérés dans des squats autonomes, ils cachaient dans leur voiture 1,6 kg de chlorate de soude et un mode d’emploi en plusieurs langues pour la fabrication de bombes artisanales. » (En trois mois, en passant du Monde au Point , Franck F. est aussi passé de Bourges à Vierzon. Il a perdu en chemin 400 g de chlorate de soude, mais il a trouvé une compagne…)
Après cette longue mise en condition de l’opinion, c’est tout naturellement que Michèle Alliot-Marie s’empresse de confirmer à ses amis de la presse, en novembre 2008, que Julien Coupat et les autres « activistes présumés » arrêtés à Tarnac appartiennent bien à « l’ultragauche, mouvance anarcho-autonome ». Sarkozy, extatique, applaudit alors « l’efficacité et la mobilisation » de « la Sous-Direction antiterroriste sous l’autorité » de la ministre de l’Intérieur – et Libération proclame, à la une, que « l’ultragauche déraille ».
On sait aujourd’hui que, dans cette affaire, c’est surtout la police et la justice qui ont quelque peu déraillé. Mais cela n’empêche pas le directeur de l’Express , Christophe Barbier, de brandir à nouveau l’épouvantail de Tarnac pour asséner, dans son éditorial du 22 janvier, que le syndicat SUD est « une nébuleuse complexe » , inquiétant ramassis de « thuriféraires de Julien Coupat » et de « boutefeux » , qui bien évidemment menacent « la République » : en voilà un qui a tout compris au concept d’ennemi intérieur.

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