À propos d’une grève de la faim rue Béranger…

S’étonnant de ne pas découvrir vendredi dans Libération la chronique hebdomadaire de Pierre Marcelle, Politis a pris des nouvelles de l’auteur de No Smoking. Il apparaît que son évocation de la grève de la faim d’une salariée de Libé n’a pas eu l’heur de plaire à Laurent Joffrin, directeur de la publication.

Sébastien Fontenelle  • 26 février 2009
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Pierre Marcelle : « Revendiquant l’exclusivité de la communication relative à la (douloureuse) situation qui, depuis dix jours, perdurait dans nos murs, Laurent Joffrin, coprésident de Libération et directeur de sa rédaction, s’est opposé jeudi dernier à la diffusion d’une chronique qui, de la Guadeloupe à la rue Béranger, traitait de ce qui, ici et là, identifiait à la fois un conflit social et un conflit identitaire. Peu enclin à m’exposer dans l’évocation d’une affaire interne, je m’y étais cependant résolu en constatant que le journal n’en avait jamais informé ses lecteurs, fût-ce par une brève. C’est ce vide que je me proposai de remplir, avec un osten­sible souci de ne pas mettre en avant ma propre appréciation du conflit. Très ingénument, je m’imaginai même que cette chronique, vidant un peu du pus de cet abcès, soulagerait tout le monde, et jusqu’à la direction du titre. Sa censure établit que je m’étais mépris. »

Nous publions ci-dessous un extrait de la chronique No Smoking dont les lecteurs de Libération ont été privés :

Là-bas non plus qu’ici, le produit de « première nécessité » ne saurait se réduire
au « panier de la ménagère ». Et ici non plus que là-bas, l’essence même de la vie
ne saurait se définir à travers la délétère comptabilité du « travailler plus », ce dogme par quoi d’aucuns prétendent – quelle blague, quand on y songe ! – endiguer « la crise ».
La crise qui ne nous épargne pas, à Libération, où, depuis le 10 février, se poursuit
la grève de la faim de notre collègue Florence Cousin. Il s’agit d’un conflit qui voit une salariée contester son licenciement, et une direction revendiquer le droit de licencier. Ce conflit est à la fois social et identitaire.
Il ne s’agit pas ici de dire qui a commencé, mais ce qui s’achève, quand la violence du monde réel emporte tout, partout. Si, pas plus que dans un seul pays, on ne fait le socialisme dans un seul journal, à tout le moins, l’ultime aberration ou l’ultime reniement (c’est selon la conviction des uns ou des autres) serait d’occulter ce qui le constitue, le journal : en l’occurrence, la fin d’informer aussi à propos de conflits, qu’ils soient sociaux ou identitaires, qu’ils soient de là-bas ou d’ici, et fussent-ils, pour les seconds, dérangeants de proximité. Un « service minimum », comme dit l’autre…

Évoquer, donc, la violence que fait à la conscience la présence d’un lit de camp
(une couverture, des bouteilles d’eau minérale) sur lequel est allongé un corps muet. Quelles que soient les « raisons » de part et d’autre invoquées, cette grève de la faim, ici, dans le hall de ce journal, hurle la négation de ce qui en fit un intellectuel collectif. À perdurer, à signifier aussi tragiquement que, de facto, on ne put, dix jours durant et sans préjuger de la suite, plus se parler, cette grève de la faim ébranle le bien commun d’une commune intelligence de valeurs, sinon du monde. Ainsi que dans des milliers d’entreprises et pas mal d’entreprises de presse, trois générations de personnels travaillent à Libération. Entre anciens combattus et jeunes précaires, un âge moyen et majoritaire impose un pragmatisme dont, qu’on le veuille ou non, l’origine est sarkozyenne. On peut aussi le qualifier de pragmatisme de crise.

P. S. La brève interview ci-dessus a été réalisée avant le mouvement – fort discutable – d’un syndicat CGT des NMPP qui a empêché la parution du titre samedi, et le communiqué de la direction de Libé publié lundi.
Médias
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