Un gouvernement de combat

Denis Sieffert  • 5 février 2009 abonné·es

À-t-on voulu, en préservant cette part de mystère, suggérer que l’événement serait considérable ? Sarkozy, nous disait-on, va « parler », mais on ne sait pas quand. Cette soudaine sacralisation de la parole présidentielle n’a-t-elle pas en soi quelque chose d’incongru ? Nicolas Sarkozy, n’est-ce pas ce personnage qui parle tous les jours à la télévision ? Qui chaque soir, à heure fixe, de préfecture en sous-préfecture, promet – quand les manifestants ne couvrent pas sa voix et quand les préfets font leur boulot – que telle usine ne fermera pas ; avant d’assurer, aussi imperturbablement, que rien ne le fera jamais dévier de sa route ni renoncer à ses réformes ? Que peut-il dire de neuf qu’il n’ait déjà répété cent fois ? Rien, évidemment rien. Il n’empêche, au lendemain de sa prochaine prestation télévisée, dans un simulacre dont il n’est pas le seul responsable, toute la classe politique et toute la presse accompliront le rituel de leurs commentaires prévisibles. Il serait loisible ici de les imaginer. Nous aurions d’autant moins de mérite que le Président, sans doute pour nous épargner le choc d’une trop grande surprise, a fait donner dès lundi son Premier ministre [^2]. Et tout est dit. Rappelons tout de même le sujet : le 29 janvier, deux millions de manifestants, pas moins, ont crié leur colère contre une politique scandaleusement inégalitaire. Cette énorme mobilisation avait une singularité, voulue par les grandes confédérations syndicales : elle n’avait pas d’objectif bien défini. Tout y était et rien n’y était. Du coup, de par son caractère global, il y avait comme un côté révolutionnaire que n’avaient pas forcément voulu les mêmes confédérations.

Dépourvues de revendications précises, les manifestations ont pris toutes les apparences d’un ras-le-bol général contre le gouvernement, contre le système, contre l’injustice sociale. Sait-on où cela peut conduire ? En tout cas, nous ne jouerons pas ici au candide qui s’interroge sur la réponse du président de la République. Nous croyons à la nature sociale des régimes. MM. Sarkozy et Fillon sont des néolibéraux (ce qui n’exclut pas l’autoritarisme et l’autocratisme) et ils ont une mission à accomplir que l’on pourrait résumer ainsi : tout privatiser, tout précariser, exporter les méthodes entrepreneuriales à l’hôpital, à l’université, à l’école, exacerber les concurrences depuis le sommet de l’entreprise et jusqu’aux rapports les plus individuels au travail. Et c’est tranquillement ce que rappelle François Fillon dans le Monde de lundi. Ce qu’il a retenu de cette énorme mobilisation ? Il y a vu « une forme de soutien exigeant aux initiatives que la France a prises pour engager la refonte des institutions financières internationales » . Une manifestation pro-Sarkozy en somme. C’est un point de vue. C’est surtout la preuve que ce régime se contrefout du peuple, et ne répugne pas à le montrer. La suite le confirme : *« Les manifestants ont exprimé leur désaccord sur la réforme de l’État, les mesures de modernisation économique. J’en prends acte, mais cela ne peut en aucun cas nous conduire à remettre en cause des réformes nécessaires […]. Il n’y aura pas de tournant de la politique économique et sociale. »

  • À cet instant, nos consœurs et confrère du Monde se sentent obligés d’indiquer à leur hôte « qu’il y avait pourtant beaucoup de slogans anti-Sarkozy dans les cortèges… » Oui, beaucoup en effet. Mais François Fillon, qui n’en a cure, leur inflige une leçon institutionnelle, façon Ve République : « Dans un pays démocratique, le gouvernement propose une politique. Le Parlement vote. » On note que l’hypothèse selon laquelle le Parlement pourrait ne pas voter n’est pas même caressée. Et il a raison, François Fillon. Dans ce régime, le Parlement vote. Tant et si bien que l’on pourrait suggérer une formulation plus condensée : « Dans un système comme le nôtre, le gouvernement dispose. » Façon de dire que les manifestations n’ont aucune espèce d’importance. Une fois tous les cinq ans, un autocrate habile en communication circonvient le peuple, puis agit à sa guise ensuite pendant cinq ans. Ou, plus exactement, à la guise du groupe social dont il gère les intérêts. Et c’est ici que le dialogue devient passionnant car les journalistes, tirant les conclusions de la réponse de François Fillon, lui posent deux questions qui, au fond, n’en font peut-être qu’une seule : « Ne prenez-vous pas le risque de faire monter l’extrême gauche ? » Puis : « La situation en Guadeloupe vous inquiète-t-elle ? »* Pour une fois, ce ne sont pas tant les réponses qui importent que les questions. Parce qu’elles s’inscrivent dans une parfaite logique. Dans le système étouffant de M. Fillon, une seule riposte a quelque chance d’être audible : la grève générale.

Que faire devant tant de morgue le jour même où sa ministre de l’Économie annonçait 45 000 chômeurs de plus ?
Que faire après le paquet fiscal de septembre 2007 ; après un « plan de relance » qui n’accorde pas un centime au pouvoir d’achat ; en l’absence de toute mesure qui interdise les licenciements boursiers ; et alors que rien n’est fait pour renverser la logique qui depuis vingt ans, dans notre pays, dépouille le travail au profit de la finance ? Oui, que faire ? Sans aucun doute préparer pour le plus proche avenir d’autres réponses politiques que celles du Parti socialiste. À cet égard, le paysage qui se redessine à grands traits ces jours-ci à gauche est porteur d’espoir. Mais que faire, tout de suite, face aux conséquences de la crise ? Le mouvement syndical est devant ses responsabilités. A minima, la mobilisation y gagnerait si des objectifs clairs étaient définis. Des objectifs qu’on ne lâcherait pas. Au fait, le Président à la télévision, ce sera jeudi. Fin d’un mystère qui nous taraudait.

[^2]: Le Monde daté du 3 février.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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