« Nous voulons de réelles négociations »

Les ministres de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur reculent un peu sur leurs réformes. Pascale Dubus* revient sur les motifs d’une mobilisation toujours active.

Jean-Claude Renard  • 26 mars 2009 abonné·es

Le gouvernement a reculé d’un pas sur ses réformes concernant l’enseignement. Les concours de recrutement sont maintenus en l’état jusqu’en 2010. Et, à l’obtention du concours, ces « fonctionnaires stagiaires » auront un tiers de leur emploi du temps en formation continue, ce qui demeure insuffisant même si la réforme prévoyait au départ un plein-temps devant la classe après le concours. Soit de jeunes enseignants jetés dans l’arène.
Autre recul du ministre, sous forme de promesse : pour les étudiants en master 2, les stages « ne seront pas utilisés pour couvrir des besoins en remplacement de personnels en congé ou des besoins permanents d’enseignement ». Pour le reste, c’est sans réponse. Rien sur les postes supprimés en 2009, rien sur la demande d’un plan de recrutement pluriannuel pour toutes les catégories de personnels, ni sur le démantèlement des organismes de recherche. Le gouvernement applique à la formation des enseignants et dans sa politique éducative ce qu’il met en place dans d’autres domaines : l’affaiblissement des services publics, la dérégulation, la concurrence.

Illustration - « Nous voulons de réelles négociations »

Devant l’université Lyon-II. La question du statut des enseignants-chercheurs reste au centre des revendications. Ksiazek/AFP

Après deux mois de grèves et de manifestations,
et ce recul de Xavier Darcos, quelles sont aujourd’hui les revendications des enseignants ?

Pascale Dubus : La masterisation des concours et la modification du statut des enseignants-chercheurs demeurent au centre de nos revendications. Bien que les épreuves du Capes soient maintenues à l’identique en 2010, la question des concours de recrutement reste posée. Le Capes, par exemple, désormais réduit à quatre épreuves pour toutes les disciplines, ne repose plus sur des contenus disciplinaires, mais sur l’aptitude du candidat à transmettre des connaissances. La pédagogie a pris le pas sur le savoir. Nous demandons expressément la révision des contenus des concours de Capes, en concertation avec les partenaires de l’Université. En outre, si aujourd’hui, à l’obtention du Capes ou de l’agrégation, les étudiants ont un stage d’un an, avec la masterisation, cette année formatrice disparaît. C’est donc un an de salaire en moins pour de jeunes enseignants, envoyés directement en collèges ou en lycées, sans avoir exercé auparavant, sans réelle compétence pédagogique, sans véritable connaissance du terrain. Cela signifie aussi un allongement des études, ce qui représente un coût important pour les familles et pour les étudiants. Ajoutons que le candidat reçu au Capes n’aura pas de poste automatiquement. Il devra passer devant une commission qui donnera son agrément. On comprend alors que le retrait de la réforme soit demandé, et l’on espère que vont s’ouvrir de réelles négociations car, à regarder de près, la masterisation mène à la précarité et à la suppression des concours.

D’autres revendications ?

Une réforme bouscule l’autre, ou un malheur n’arrive jamais seul. En octobre 2008, est paru un projet de décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs, comprenant la modulation des services fondée sur l’évaluation de la recherche des universitaires. Contrairement à une idée reçue, les enseignants-chercheurs sont sans cesse évalués (par leurs pairs, leurs étudiants, leurs éditeurs, etc.). La réforme propose une évaluation supplémentaire en partant du principe que l’enseignement représente la moitié du travail de l’enseignant-chercheur. Si ce dernier n’atteint pas son quota de publication, alors on augmentera ses heures d’enseignement. Or, les critères d’évaluation sont inatteignables dans nombre de disciplines : un livre tous les quatre ans. Beaucoup de collègues risquent de voir leur service augmenter pour le même salaire. Quel est le salarié qui accepterait une telle modification de son contrat de travail : enseigner deux fois plus pour le même salaire, en sachant qu’on recrutera moins ? Produire coûte que coûte, faire du « volume », avec l’obligation de courtiser les directeurs de revues et les éditeurs, va à l’encontre de la liberté du chercheur et de la qualité des productions intellectuelles et scientifiques.

De telles transformations ne peuvent se faire sans concertation avec les intéressés. Nous avons subi de lourdes réformes ces dernières années (semestrialisation, LMD, LRU), aussi n’est-il pas surprenant que les grèves aient pris une telle ampleur : la coupe était pleine. Du jamais vu depuis trente ans ! La réécriture du projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs est un clone du premier jet, rendue à la suite de réunions qui n’ont rassemblé que les syndicats minoritaires, absolument pas représentatifs. Aujourd’hui, nous restons sur le même mot d’ordre : le retrait pur et simple du décret, avant d’ouvrir des discussions.

Ne serait-ce pas là l’occasion de revenir une bonne fois pour toutes sur la LRU ?

En effet. Les réformes en cours sont directement liées à la LRU. La loi a été votée en août 2007, à un moment où les enseignants-chercheurs étaient en congé. La LRU était alors une coquille vide, en attente de décrets d’application. Il ne fait aucun doute que cette réforme prend modèle sur l’entreprise, et accorde au président des pouvoirs excessifs qui risquent de nuire gravement au fonctionnement démocratique et collégial de l’Université. La LRU est une loi nocive, c’est la raison pour laquelle la Coordination nationale des universités a réclamé son abrogation.

Dans quel état se trouve aujourd’hui l’Université ?

Cela fait vingt ans qu’on laisse dépérir l’Université, avec des locaux délabrés, des étudiants en nombre croissant, des établissements qui comptent un minimum de titulaires pour un maximum de précaires, de chargés de cours, de moniteurs, d’attachés temporaires d’enseignement et de recherche (Ater), autant de CDD renouvelés chaque année. En ce qui concerne les moyens, le gouvernement déclare qu’il aurait renoncé à la suppression de postes en 2010 et 2011, sans toutefois revenir sur celles de 2009 (1 030 suppressions d’emploi cette année). On n’ose même pas compter le nombre de fonctionnaires qu’il faudrait recruter pour résorber la précarité à l’Université : vertigineux !

Quelles sont sur le terrain les conséquences du mouvement universitaire, puisqu’il y a tout de même deux mois de perdus ?

La volonté du gouvernement de passer en force en jouant sur le pourrissement du mouvement est condamnable. La rétention des notes du premier semestre, la poursuite de la grève engagée début février dans la plupart des établissements, et les blocages de plus en plus nombreux ­mettent en péril l’année universitaire d’un grand nombre d’étudiants.

D’une manière générale,
n’y a-t-il pas là une manière dissimulée de réduire le budget de l’enseignement ?

C’est une question purement économique ! Il faut savoir qu’un concours coûte très cher. Réduire le nombre d’épreuves, c’est réduire le coût du concours. La suppression de l’année de stage après le concours participe de cette économie. On peut s’attendre également, avec cette réforme, à un recrutement massif des « masterisés », sans concours, avec des salaires inférieurs. La modification du décret sur le statut des enseignants-chercheurs n’a d’autre objectif que d’augmenter les heures d’enseignement des titulaires, avec comme conséquences la réduction, voire la suppression des postes. Derrière ces réformes, semble se dessiner une pensée poujadiste anti-intellectuelle. Il y a un véritable mépris du pouvoir politique à l’égard de la pensée.

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