Un libéral chasse l’autre

Andry Rajoelina, principal opposant au président démissionnaire, a reçu les pleins pouvoirs
du directoire militaire pour diriger la transition. Pas sûr que cela change grand-chose à la situation du peuple.

Claude-Marie Vadrot  • 26 mars 2009 abonné·es

À ma droite, Marc Ravalomanana, 60 ans. À ma droite également, Andry Rajoelina, 34 ans. Le premier a fait fortune dans le yaourt et les supermarchés ; le second, après des débuts remarqués de DJ dans une boîte et les soirées branchées de la capitale, s’est enrichi dans la publicité et la communication. Ce qui lui a été utile pour organiser la colère d’une partie de la population, en surfant sur l’indignation des Malgaches après que des terres cultivables ont été louées à des entrepreneurs sud-coréens, parmi lesquels la firme Daewoo, et l’achat d’un luxueux « avion présidentiel ».

L’un et l’autre sont arrivés au pouvoir sans avoir la moindre idée de la façon dont se gère un pays. Ils ont en commun le soutien des « entrepreneurs » qui mettent l’île en coupe réglée : ceux qui souhaitaient continuer à s’enrichir avec l’ancien et ceux qui pensaient qu’il était temps de changer de chef d’entreprise pour la Société Madagascar. Les deux hommes se disputent en somme des parts de marché dans un pays exsangue, dont les citoyens de plus en plus pauvres ne sont que leurs salariés ou leurs clients.

Profondément populistes, ils se sont hissés au pouvoir en prenant la rue à témoin que leur prédécesseur était un incapable, et en provoquant des violences dont ils ont ensuite tiré profit. Ravalomanana et Rajoelina ont réussi à utiliser l’exaspération populaire des Malgaches citadins, ceux qui souffrent le plus des pénuries et de l’augmentation des prix ; ceux qui, en dépit de leurs diplômes ou de leurs compétences, ne parviennent pas à trouver de travail. Leurs promesses respectives d’une prompte accession au « plein-emploi » sont rigoureusement semblables.

C’est donc samedi 21 mars qu’Andry Rajoelina, élu maire d’Antananarivo, la capitale, en 2008, a prêté serment comme président de transition de Madagascar devant 40 000 personnes, mais en l’absence des ambassadeurs européens. Et sans le représentant de l’Union européenne, qui a tant aidé son prédécesseur, Marc Ravalomanana, à se maintenir au pouvoir. Depuis 1959, sauf peut-être lors de la première accession au pouvoir de Philibert ­Tsiranana, aucun président malgache n’est parvenu à cette fonction dans des conditions « normales » ou démocratiques.
Ravalomanana avait lui-même accédé au pouvoir lors d’une longue crise politique. « Ce paysan malin, ayant réussi dans les affaires, avait obtenu le soutien de l’Allemagne, de la Norvège, de la Banque mondiale, des États-Unis et surtout de l’Église protestante réformée calviniste, dans ce qu’elle a de plus borné et de plus lié aux calvinistes américains, explique Christian Chadefaux, ex-journaliste de l’Agence France-Presse et de Radio France International expulsé de Madagascar il y a deux ans. Comme une poursuite de la guerre que se livrent depuis des décennies les missionnaires norvégiens et allemands et les jésuites à Madagascar ; d’ailleurs, les directions opérationnelles de ses multiples entreprises sont en général contrôlées par des Allemands ou des Norvégiens. »

Les deux « présidents » se sont appuyés sur les militaires, auxquels le plus jeune a promis plus d’argent que ne leur en donnait son aîné, qui avait pris la mauvaise habitude de ne plus guère partager. Rajoelina a vite compris qu’il fallait d’abord offrir de l’argent aux plus jeunes gradés de l’armée alors que, question de génération, son prédécesseur ne servait que les anciens.

Tous les deux se proclament ouvertement ultralibéraux et chefs d’entreprises parvenus, et prônent la réussite individuelle en se donnant eux-mêmes en exemples – affirmant que tous les Malgaches peuvent en faire autant.

Selon un membre de la représentation diplomatique française à Madagascar, « les deux hommes sont de véritables fripouilles mais, en Occident, nous avons soutenu le premier et nous ne tarderons pas à pardonner au second la façon dont il est arrivé au pouvoir. Et les chefs d’État africains en feront autant ».

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