Pas de manants dans son château

Dans l’Oise, des dizaines de familles vivant dans des mobile homes subissent le harcèlement des vigiles du nouveau propriétaire du terrain, l’homme d’affaires Alain Duménil, qui souhaite les voir partir.

Erwan Manac'h  • 7 mai 2009 abonné·es
Pas de manants dans son château
© DAL :

«Les vigiles s’en sont pris à la maison de mon voisin, relate Cyril Perennes, habitant d’un mobile home dans le parc du château d’Alincourt. Ils ont pris des bouteilles et ont aspergé le bungalow en criant : “Sortez de là, on va vous brûler ! Vous avez dix minutes pour sortir parce qu’on va vous brûler !” » Il n’y avait pas d’essence dans les bouteilles, juste de l’eau. Un jeu sordide. Il était 3 h 30 du matin.
La paisible commune de Parnes, dans l’Oise, au nord-ouest de Paris, est depuis plusieurs semaines le théâtre d’une troublante affaire de harcèlement collectif. Le cadre : un somptueux château, au cœur d’un parc de 100 hectares classé monument historique. En contrebas, sur les terres qui ceinturent la bâtisse de 1 200 m², 140 emplacements de « camping » étaient loués par l’ex-propriétaire depuis 1976. Aujourd’hui, 80 familles d’horizons très différents y résident, partiellement ou à l’année, dans des bungalows ou en caravane. Certaines sont propriétaires de leur mobile home. Toutes louent l’emplacement 235 euros par mois, plus l’eau et l’électricité. Or, le nouveau propriétaire, l’ex-banquier reconverti dans l’immobilier de luxe Alain Duménil, veut faire déguerpir les occupants du lieu. De gré ou de force.

Depuis le 26 février, les habitants subissent les pressions d’une trentaine de maîtres-chiens. L’entrée de la propriété est soigneusement gardée. Aucune personne extérieure n’est autorisée à passer la grille, et les coffres de voiture sont fouillés. Un couvre-feu interdit toute circulation sans autorisation entre 21 h 30 et 8 h du matin. Les véhicules sont même depuis peu totalement interdits de circulation dans l’enceinte de la propriété. Il faut finir sa route à pied et, pour certaines femmes, subir les railleries grasses de quelques vigiles.

De jour comme de nuit, certains ­d’entre eux tournent à grande vitesse dans le camping au volant de véhicules tout-terrain, en klaxonnant. Régulièrement, la nuit, ils réveillent les habitants au son de films d’horreur ou de propos pornographiques. Le paroxysme du harcèlement est atteint dans la nuit du 15 avril, à 3 h du matin. «  Ils se sont arrêtés devant chez moi, raconte Cyril Perennes. Ils m’ont pris un extincteur qu’ils ont vidé sur mon véhicule et ils ont enflammé des caisses de pétards devant mon habitation. » Plusieurs mobile homes ont par ailleurs été cambriolés, et des infractions ont été constatées sans que l’enquête de gendarmerie ne puisse encore déterminer de coupable.
Le cauchemar a commencé après la vente, le 8 janvier, du château d’Alincourt et de son terrain. À l’évidence, le nouveau propriétaire, l’une des cent plus grandes fortunes de France, souhaite cesser la location des emplacements. Les habitants ont donc reçu un avis leur annonçant qu’ils devaient « prendre congé » avant le 15 avril. Aux yeux du propriétaire, les résidents toujours en place sont donc des récalcitrants. Eux s’estiment dans leur bon droit.

L’enjeu autour du statut du terrain, entouré d’un flou juridique certain, est d’importance. S’ils sont considérés comme des campeurs, les habitants peuvent être expulsés sans procédure de relogement ni indemni-
sation. «  On est dans un camping, martèle Jean-Claude Guibere, avocat d’Alain Duménil. Il n’y a aucun flou juridique. C’est une manipulation éhontée. » Les habitants qui occupent leur emplacement en permanence souhaitent, eux, être reconnus comme des locataires, ce qui leur ouvrirait le droit à un relogement et à des indemnités. Certes, ils n’ont ni droit de propriété ni permis de construire, et la préfecture de l’Oise rappelle que le camping à l’année n’est pas légal. Pourtant, ce camping est reconnu de longue date comme un lieu de résidence permanent. Certains habitants perçoivent des allocations de logement, ce qui suppose qu’ils sont reconnus comme locataires. D’autres, d’après plusieurs habitants, ont même été placés ici par les services sociaux, ce que démentent la Ddass locale et la préfecture.

La justice doit trancher cet imbroglio le 11 mai. En attendant, un climat de grande tension persiste dans ­l’enceinte de la propriété. « C’est l’isolement le plus total, estime Cyril Perennes. Les gens ont peur. Certains ne sortent plus depuis des mois, craignant d’êtres totalement dépouillés. » Cyril Perennes continue de payer son loyer et veut se battre pour ses droits. Il a néanmoins quitté le château : en témoignant, il s’est exposé au courroux des gardes.

Selon les habitants, les vigiles ont répété que tout le monde devait partir. Pour l’avocat du propriétaire, leur présence est une simple mesure de sécurité. « Nous sommes dans un domaine classé monument historique, argumente Me Guibere. Nous avons voulu le protéger, éviter les squats. » Le démenti est tout aussi formel au sujet du harcèlement : « Il n’y a aucune volonté de harcèlement, s’emporte l’avocat, puisqu’on ne les fait pas partir. Il n’y a jamais eu de harcèlement quelconque. » Une assertion difficile à prouver devant un tribunal, dans un sens comme dans l’autre. Et en cas de problème avec la justice, on fera apparaître sans difficulté les accusations de harcèlement comme des dérapages isolés de vigiles irresponsables.

Plus croquignolet, « le château a été acheté avec une décote puisqu’il est occupé et qu’il faut payer des indemnités d’expulsion pour l’exploiter vide » , affirme Clément David, de l’association des Habitants de logements éphémères ou mobiles [^2].
Sur le terrain, les forces de l’ordre semblent impuissantes. Contactée par les habitants, la gendarmerie de Chaumont-en-Vexin s’est longtemps retranchée derrière l’argument de la propriété privée pour ne pas intervenir. Ne souhaitant pas s’exprimer sur l’affaire, elle nous a renvoyés à la compagnie de Méru. Où l’on assure que les gendarmes sont présents régulièrement sur le site, malgré des difficultés à accéder au domaine. Alain Duménil reste donc roi en son château. Comme l’observent Clément David et l’association Droit au logement, « on est dans un far west sans shérif ni héros ».

[^2]: Halem : 06 18 94 75 16, .

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