Joyeux désordre

Avec « le Roi de l’évasion », Alain Guiraudie signe une comédie drôle et charnelle.

Christophe Kantcheff  • 9 juillet 2009 abonné·es

Par sa liberté et son inventivité, Alain Guiraudie a apporté, au début des années 2000, un bol d’air frais au cinéma français avec son premier moyen métrage Du soleil pour les gueux, et son premier long, Pas de repos pour les braves. On a ensuite pu craindre que le cinéaste ne s’installe un peu trop confortablement dans son univers, qui risquait de devenir pittoresque et sans surprise. Bonne nouvelle : ce n’est en rien le cas avec ce troisième long, le Roi de l’évasion, présenté il y a deux mois à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.

Non que Guiraudie ait totalement changé de manière. Ce serait d’ailleurs regrettable. On retrouve ses personnages du sud de la France, ici à Albi, des gens du peuple, plus tout jeunes, dont beaucoup d’homosexuels, qui s’éloignent nettement du stéréotype de l’homo au cinéma (Guiraudie est là assez proche de Jacques Nolot). Son héros, Armand (Ludovic Berthillot), traverse la « crise » de la quarantaine. Représentant en machines agricoles, il aime son métier, il a connu beaucoup de garçons, sa vie sexuelle est satisfaisante, mais quelque chose lui manque, qui pourrait bien être le sentiment amoureux. Par ailleurs, un soir, il sauve une jeune fille de 16 ans, Curly (Hafsia Herzi), menacée par des mauvais garçons. Et… celle-ci tombe amoureuse d’Armand.

Alain Guiraudie n’a pas opté pour le drame réaliste, même si les personnages s’inscrivent dans une certaine réalité sociale et psychologique : Curly est une lycéenne étouffée par un père autoritaire, Armand s’interroge profondément sur la possibilité pour un homo d’être épanoui (heureusement, le film ne virera pas dans l’éloge de l’hétéro-normalité). Mais, précisément, la réussite du Roi de l’évasion vient du fait que le cinéaste s’est autorisé la même fantaisie et les mêmes libertés narratives qui caractérisaient ses premiers films, mais dans un cadre réaliste. Du coup, les moments les plus improbables, les reparties les plus burlesques, ou cette histoire hilarante de « dourougne », plante dopante et aphrodisiaque d’une efficacité incomparable, que cultive un paysan pour ses copains et lui-même, sont dénués de gratuité parce que contrebalancés par l’authenticité de la relation inattendue et très charnelle que vivent Armand et Curly, ou par la réalité de leur cavale dans la campagne et les bois, pour échapper à la police ou aux parents, bref, à l’ordre social.
Le Roi de l’évasion est une comédie très drôle, vive, impertinente et déconnante, tout en étant chargée d’humanité, et même de gravité. Tout un art, qu’Alain Guiraudie mène d’une main de maître.

Culture
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