Mur de Berlin : vingt ans après

Dans ce dossier spécial été 2009, Politis part à Berlin et se penche sur les trois conséquences majeures de la chute du Mur, vingt ans après. L’effondrement du communisme, le néolibéralisme triomphant et les nouveaux débats de société sont décryptés par Roger Martelli, Jacques Sapir, Pascal Boniface, Michel Husson, Dominique Plihon, François Cusset, Jacques Testart et Emmanuel Burdeau.

Denis Sieffert  • 23 juillet 2009
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Mur de Berlin : vingt ans après

S’il fallait choisir un mot, un seul, pour résumer ces vingt ans, nous proposerions volontiers celui-ci : Internet. Le 12 novembre 1989, trois jours après la chute du mur de Berlin, c’est devant un antique fax que la rédaction de Politis, regroupée, guettait l’arrivée de la précieuse copie de notre ami regretté, Maurice Najman, envoyé spécial là où s’écrivait l’histoire. Et nous n’étions pas fiers car l’heure fatidique du bouclage approchait, et les communiqués sans importance encombraient la machine. Et, à supposer que le reportage espéré arrive à temps, il allait encore falloir le saisir – on disait « le claver » – pour le faire apparaître sur les écrans minuscules de nos « Macintosh ». Je crois bien que nous avons applaudi quand « le » Najman parvint enfin à se frayer un chemin au milieu du superflu. On peine aujourd’hui à imaginer combien Internet a révolutionné le monde. Mais, me direz-vous, quel rapport avec cette chute du Mur que nous célébrons ici ? Un rapport étroit. La révolution Internet emporte tous les murs comme un ouragan. La Chine, l’Iran résistent difficilement. Et leur résistance sera bientôt vaine. Internet est venu quelques années après la chute du Mur. Il l’aurait emporté de toute façon. Et avec Internet, que nous citons symboliquement, il faut évoquer le téléphone mobile et ses multiples usages, les chaînes de télévision satellitaires et tout ce qui anéantit les entraves matérielles et abolit le temps. Instruments fascinants et démoniaques qui créent de la démocratie et minent la démocratie en lui refusant son aliment le plus précieux : le temps, celui de la délibération et de la réflexion.

S’il fallait choisir un deuxième mot, ce serait assurément « écologie ». Il est là pour freiner l’enthousiasme qui peut naître d’internet. Aucun autre, mieux que celui-là n’incarne notre remise en question. Remise en question du progrès dans sa linéarité, de la science dans sa prétention morale, et de nous autres, humains, dans notre toute-puissance. Bien entendu, depuis fort longtemps, des esprits éclairés tentaient d’alerter leurs contemporains sur les périls qui guettent la planète. Et, depuis le début des années 1970, le mot avait chez nous fait irruption en politique. Mais c’est bien la chute du Mur et l’effondrement du système soviétique qui ont emporté ce qu’on pourrait appeler le productivisme de gauche, et ses instruments de pensée. Car c’est de la gauche nouvelle, née de la critique du stalinisme, qu’a surgi le mouvement écologiste organisé. Et c’est dans la prise de conscience écologiste par la gauche sociale que naissent, peu à peu, une nouvelle synthèse et de nouvelles offres.

Si nous avions droit à un troisième mot qui marquerait ces deux décennies, nous choisirions celui-ci, qui peut étonner : Dieu. Soit, Dieu n’est ni nouveau ni symbole de modernité. Mais la religion est revenue en force sur les décombres du Mur. Là encore, le mot est un raccourci. Ce n’est point tant Dieu que la quête identitaire, le retour aux origines, la résistance politique et culturelle – fût-elle dévoyée – aux excès d’un néolibéralisme triomphant. Ce n’est point tant Dieu que tout refuge et tout repère dans un monde soudain déboussolé. On peut évoquer ici le nationalisme. Cette quête est souvent régressive, et parfois violemment régressive : on pense aussi bien à Ben Laden qu’à George Bush, mutatis mutandis , comme incarnations redoutables de nouvelles certitudes qui sont en vérité le retour à de très anciennes certitudes qui ont hanté nos nouveaux débats de société. On pense aussi aux spasmes qui ont accompagné le délitement du bloc de l’Est, en particulier à l’éclatement de la Yougoslavie.

Nous aurions pu organiser le dossier que nous vous proposons pour ce numéro d’été autour de ces trois mots, qui illustrent remarquablement les tensions que notre monde entretient entre modernité et conservatisme. On les retrouvera au gré de ces vingt pages structurées en quatre parties : 1/ Berlin, d’abord, là où le Mur, ce mur hideux, bâti une nuit d’août 1961, n’a jamais été un symbole, mais une sinistre réalité ; 2/ l’effondrement du communisme, ensuite, avec toutes ses conséquences idéologiques, en Russie, et au plan international ; 3/ le capitalisme triomphant, qui s’est soudain cru éternel, et libéré de toute histoire. L’ironie veut que cet anniversaire de la chute du Mur coïncide avec la plus grande crise depuis 1929. Un cycle d’arrogance s’achève. Un autre mur de certitudes tombe. 4/ Enfin, une dernière séquence évoque nos nouveaux débats, nos nouvelles façons de voir. Même au cinéma. On ne taira pas ici que d’autres murs ont été édifiés, en Palestine, sur la frontière mexicaine… À Ceuta. Mais, à l’époque d’Internet, les murs sont surtout métaphoriques, entre Nord et Sud, entre riches et pauvres. Ils n’en sont que plus difficiles à détruire.

Publié dans le dossier
Chute du Mur : 20 ans après
Temps de lecture : 4 minutes
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