Hafed Benotman*, Fresnes (libéré en mai 2007)

Politis  • 7 janvier 2010 abonné·es

S’il y a bien une chose sur laquelle il faut insister, c’est la question de la sexualité. Les unités de visites familiales, les UVF, donnent la possibilité d’être en famille, durant quelques heures, dans un studio aménagé. Ces unités existent dans les centres de détention. Il en existe 7 en France, sur 190 établissements, aucune en maison d’arrêt, alors qu’on y est en tant que prévenu ou pour de courtes peines. Or, tous les spécialistes, tous les sociologues s’accordent à dire que les couples se séparent dans les deux premières années d’incarcération. Durant ce temps, les familles craquent. Quand la condamnation est tombée, qu’on arrive en centre de détention, c’est déjà trop tard. La sexualité en prison se résume essentiellement à une affaire d’onanisme.

Quand il y a viol, c’est seulement un fait divers, comme à l’extérieur de la prison. Pas plus fréquent dedans que dehors. Mais, la main dans le pantalon, cinq ou six fois par jour, dix ou douze ans d’onanisme, ça rend fou. La prison fabrique ainsi des pervers sexuels. Dans une certaine mesure, elle a favorisé la pornographie entre ses murs, avec la télévision comme boîte à fantasmes. Ça vide, ça calme. Au début, les matons ont pris ça très mal. Ils ont vite compris que ça leur procurait la paix. Les détenus ne songent plus alors à monter sur les toits ! L’administration a même favorisé le câble et le satellite. Porno à toute heure ! Et tout le monde ­s’astique. La pornographie est ainsi instrumentalisée. Or, dès le départ, si on avait autorisé les relations, on n’en serait pas arrivé à cette torture.

Le travail est un autre aspect tordu et vicelard, encouragé par le ministère de la Justice, qui adresse des appels d’offres aux entreprises. Le travail en prison a beaucoup d’avantages : pas de frais de déplacement, une population qui dort sur place. Des travailleurs qu’on peut déclasser, mettre au chômage, sans indemnités, sans justification, sans risque de prud’hommes. C’est aussi la seule population qu’on peut fouiller à poil. Quand on sort des ateliers, au prétexte sécuritaire, les matons choisissent 10 ou 15 détenus qu’ils fouillent intégralement. Allez donc exiger d’un ouvrier chez Renault de se soumettre à une fouille, des fois qu’il aurait volé un boulon ! Enfin, le travail est payé à la tâche. Certains bossent 14 heures par jour dans le conditionnement pour à peine 300 euros par mois. C’est de la sous-traitance, en parfaite légalité. Et sur la somme gagnée, 20 % sont retenus. 10 % pour les parties civiles et 10 % pour le pécule libérable. Or, les juges d’application des peines invitent à donner plus de 10 % pour les parties civiles, en gage de bonne volonté, dans le cadre d’une réinsertion. Imaginez alors comment vous êtes regardé quand un détenu refuse de travailler. C’est du racket organisé.

Au fil des peines et des années, j’ai eu le temps d’observer une autre évolution dans les ­maisons d’arrêt, l’islamisation. Dans les années 1970-1980, il n’y avait pas de prosélytisme. Ceux qui croyaient en Dieu s’en occupaient eux-mêmes, s’arrangeaient en cellule. La première guerre du Golfe a été un tournant. Beaucoup de Maghrébins ont ressenti une certaine fierté, voyant en Saddam Hussein la vengeance de toutes les humiliations. Les premiers discours sur la colonisation et l’islam ont commencé alors. Quelques imams autoproclamés, braqueurs et trafiquants, se sont adressés aux plus jeunes. Ce n’était pas un discours sur l’injustice sociale mais une phrase martelée : « Ils ne nous aiment pas ! » Le « ils » étant la France. On a vu alors des musulmans prier dans les cours de promenade.

Les revendications sur les salles de prière ont commencé, avec une concurrence entre les religions monothéistes, dans la mesure où la prison recevait un curé, un rabbin mais pas d’imam. Ils ont, par exemple, demandé à remplacer le colis de Noël par un autre en période de ramadan. Pour l’administration pénitentiaire, il fallait gérer. Elle a proposé des repas sans porc, des déjeuners servis avec le repas du soir pendant le ramadan et une cantine halal. Les livres de prière sont aussi entrés. L’administration s’est aperçue que les prisonniers nouvellement islamisés se pacifiaient. Parce que, du côté des prisonniers, la peine était ­devenue une condamnation divine. Ni les surveillants, ni le directeur de prison, ni les magistrats n’étaient responsables. Ni la société. Ce n’était plus une question d’injustice sociale. L’administration a vu aussi que ces prisonniers ne rentraient plus dans les addictions carcérales : ni pharmacopée, ni films pornos, ni alcool. Ils sont devenus sains.

Mais quand on est sain, on commence à réfléchir. Dans les années 2000, ils se sont fédérés. C’est là que l’administration pénitentiaire s’est inquiétée, la prison pouvant devenir un vivier pour le terrorisme à l’extérieur. Ça n’a été rien d’autre que de la paranoïa. La prison ne forme pas de terroristes. Parce que, dans ce cas, les détenus n’auraient aucune raison d’attendre leur sortie. Le Jihad, c’est le gardien de prison, le directeur, un magistrat. Ils peuvent très bien aller au casse-pipe à l’intérieur. En tout cas, c’est l’administration pénitentiaire qui a créé le Golem, elle ne sait plus comment faire et ça risque de se retourner contre elle.

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Libres paroles de détenus
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