« Il faut séparer l’État du pétrole ! »

La directrice du Sierra Club de La Nouvelle Orléans, Jill Mastrototaro, fait le point sur les conséquences de la marée noire et interpelle le président Obama sur le respect des lois environnementales.

Claude-Marie Vadrot  • 20 mai 2010 abonné·es
« Il faut séparer l’État du pétrole ! »
© PHOTO : RALSTON/AFP

Le Sierra Club fait partie des associations environnementalistes qui se mobilisent activement et politiquement pour faire comprendre aux Américains à quel point la marée noire qui menace les côtes de Louisiane et de Floride représente un danger écologique pour la région. Et il use de sa force de groupe de pression sur la majorité démocrate et sur la Maison Blanche afin que des mesures soient prises pour éviter un nouveau désastre de ce type, et pour combattre les affirmations des spécialistes du groupe pétrolier BP, qui tentent de convaincre l’opinion publique que, grâce à l’évaporation d’une partie du pétrole, la surface de l’eau ne serait pas plus dangereuse que les opérations de dégazage des bateaux qui croisent dans le golfe. Jill Mastrototaro, directrice régionale du bureau de la Nouvelle-Orléans, ne cache pas l’inquiétude de son organisation, tout en affirmant sa détermination.

Politis : Près d’un mois après l’explosion de la plate-forme pétrolière, quelle est la situation dans le golfe du Mexique ?

Jill Mastrototaro : Elle ne change hélas pas. La marée noire continue de s’approcher et de s’étendre à la même vitesse sans rencontrer d’obstacle. Elle atteint les rivages dans les espaces les plus sensibles comme les plages de Louisiane et les marais. Elle a également atteint la barrière des îles du Mississipi. En ce début de semaine, la fuite du puits se poursuit au même rythme.

De votre point de vue, qui est responsable ?

La responsabilité est celle de BP. Mais, comme l’a expliqué notre directeur général, Michael Brune, s’il est normal que la société responsable compense toutes les pertes et tous les dégâts, il n’est pas normal que cette société pétrolière ait le pouvoir de prendre toutes les décisions. Ce qu’elle nettoie, c’est surtout son image de marque, sa réputation. Le gouvernement fédéral est beaucoup trop proche de BP et des sociétés pétrolières, et nous avons un besoin urgent d’une séparation de l’État et des pétroliers. Il faut une autorité indépendante pour procéder à tous les tests et aux évaluations des dégâts. Personne ne peut honnêtement prétendre que cette marée noire n’est pas dangereuse. Quand elle parvient sur les côtes, le pétrole reste toxique pour la faune et pour les gens, même si la concentration est moins élevée qu’au large. Les affirmations de BP sur ce point sont mensongères.

Quelles sont les perspectives pour les forages offshore dans le golfe du Mexique ?

Étant donné l’ampleur du désastre, les perspectives de nouveaux forages offshore n’importe où aux États-Unis sont faibles ou nulles. Le Sierra Club a lancé un appel à l’administration du président Obama pour qu’elle rétablisse le moratoire sur ces forages, qui avait été levé le 31 mars. Nous pensons qu’une telle décision est la seule raisonnable.

Que pensez-vous du texte de loi déposé il y a quelques jours pour interdire ce type de forage ?

La proposition de loi du sénateur de Floride Bill Nelson est un point de départ important pour assurer la sécurité future de notre littoral et des gens qui vivent sur les côtes, en particulier ceux qui vivent de la mer. Et les forages prévus au large de l’Alaska doivent également être soumis à un moratoire.

Qui s’oppose aux interdictions et à un moratoire ?

Toutes les compagnies pétrolières et aussi celles qui cherchent du gaz.
Quels sont les plus grands risques en termes de pollution aux États-Unis ?
Les pollutions de l’air et de l’eau, qu’il s’agisse des lacs et des rivières ou bien des nappes souterraines. Ce qui implique la responsabilité des industriels, de la pétrochimie et des centres industriels.

Quels sont les problèmes les plus importants pour la biodiversité aux États-Unis ?

Il nous faut protéger les habitats de la faune sauvage et faire en sorte que les espaces protégés soient reliés par des corridors biologiques permettant à la faune sauvage de migrer et de se déplacer en toute liberté. D’autre part, l’adaptation au changement climatique est un problème croissant. Car le réchauffement provoque des modifications dans les habitats de la faune sauvage et dans le fonctionnement des écosystèmes. Ce qui signifie que, dans un certain nombre de cas, les systèmes de protection mis en place pour préserver cette biodiversité ne sont plus du tout adaptés. Souvent, les espèces à protéger, animales ou végétales, se retrouvent en dehors des zones préservées.

L’agriculture et le jardinage biologique progressent-ils ?

Tout ce qui concerne le bio, qu’il s’agisse de l’agriculture ou du jardinage, jouit maintenant d’une plus grande popularité. Cette préoccupation s’est développée depuis une dizaine d’années. L’opinion publique est de plus en plus consciente que le passage à l’agriculture biologique est important à la fois pour l’environnement et pour la santé de la population.

Pensez-vous que la préservation de la nature et de l’environnement s’améliorera au cours des prochaines années ?

Seul le temps le dira. Le désastre monumental auquel nous devons faire face sur les côtes du golfe du Mexique nous rappelle que les lois sur la protection de l’environnement doivent être renforcées et, surtout, qu’il est important qu’elles soient respectées.

Que pensez-vous de la politique environnementale de votre Président ?

Les réponses de l’administration de Barack Obama ne sont pas à la hauteur des espoirs que nombre de gens, dans la communauté des environnementalistes, avaient placés en lui au moment de son élection. En particulier dans cette gestion de la marée noire. J’espère que cette administration va changer d’attitude et notamment qu’elle va comprendre l’urgence de la situation, qu’elle donnera des moyens suffisants à la région et qu’elle répondra aux besoins de la population en ces temps de crise.

Écologie
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