« Le PCF a trompé et trahi le peuple en mouvement »

En désaccord avec leur parti, plusieurs dizaines de militants et d’élus communistes unitaires quittent le PCF. Ils disent avoir été mis à l’écart, depuis 2007 et la candidature imposée de Mme Buffet à la présidentielle. Députée et ancien maire de Nanterre, Jacqueline Fraysse s’explique sur les raisons de son départ.

Michel Soudais  • 3 juin 2010 abonné·es
« Le PCF a trompé et trahi le peuple en mouvement »
© PHOTO : MEDINA/AFP

Politis : A-t-il été facile de quitter le PCF ?

Jacqueline Fraysse : Issue d’une famille de militants communistes, j’ai été toute ma vie une militante du Parti communiste assumée comme telle. Je ne regrette rien de ce que j’ai fait ; ce parti a été un moteur d’une société plus humaine. Cela n’a donc pas été une décision facile. Mais, ayant acquis au fil du temps la certitude que, malgré ses déclarations d’intention, le parti auquel j’appartenais n’était pas ­capable de changer son organisation et surtout sa stratégie politique, je n’ai pas pris cette décision pour des motifs personnels mais politiques.

Quand ont commencé vos doutes ?

Je n’ai pas été aussi précoce qu’un certain nombre de mes camarades ; j’entendais ce qu’ils disaient mais le sous-estimais. Le premier vrai déclic remonte à 1995, alors que j’étais maire de Nanterre, quand nous avons lancé les « cahiers pour la ville ». C’était une façon pédagogique de mener un débat avec les citoyens en tenant tous les bouts : le bilan, la critique éventuelle et la proposition constructive. Cette démarche n’a pas été seulement critiquée, elle a été combattue par le PCF. Ce sont pourtant ces formes innovantes qui nous ont permis de garder la ville à gauche. J’ai d’abord pensé que cette opposition était due au fait que l’on bousculait les habitudes. D’autres expériences m’ont convaincue que c’était plus profond.

Qu’est-ce qui vous a fait basculer ?

La rupture s’est faite en 2007. On avait mené une belle bataille contre le traité européen, dans une large convergence avec d’autres forces, et fait ainsi l’expérience positive et instructive d’un rassemblement qui gagne. Or, non seulement le PC n’a pas joué le rôle qui aurait dû être le sien, mais il a contribué à casser le mouvement. Cela a été insupportable. Découvrir que mon parti était capable de détruire un début de rassemblement pluraliste et une dynamique qui ne demandait qu’à grandir a été quelque chose d’extrêmement douloureux et rédhibitoire. Là, j’ai eu envie de quitter le PC, et je pense aujourd’hui que j’aurais dû le quitter. C’est là que, dans ma tête, la décision a été prise.

Qu’est-ce qui vous a le plus choquée ?

Dans le rassemblement né de la campagne référendaire, le Parti communiste, avec son organisation, ses militants d’une richesse incomparable, ses moyens financiers, ses élus, avait la possibilité d’être un fort moteur. Au lieu de ça, il a évolué dans la duplicité : tout en se déclarant en plein accord avec le rassemblement pour une candidature unitaire, il avait en tête, mais ne le disait pas, la volonté de récupérer ce mouvement et a imposé la candidature de sa secrétaire nationale en imaginant que le PCF allait profiter de cette dynamique réelle. Incapable de s’inscrire dans le rassemblement, il a trompé et finalement trahi le ­peuple en mouvement.

Le PC n’est-il pas capable de tirer des leçons de ses erreurs ?

Je n’y crois plus. Après la présidentielle, où Marie-George Buffet a fait un score catastrophique, j’ai encore voulu le croire. Il ne s’est rien passé. Ou plutôt une chose : le PC a compris qu’en se présentant seul aux européennes il allait perdre des élus. D’où le Front de gauche, lancé avec un métro de retard. À Nanterre, avec le maire, la présidente du groupe et le premier adjoint, nous avons soutenu ce Front de gauche, considérant qu’il était trop étroit mais qu’il allait dans le bon sens. Le PC donne l’impression qu’il a enfin compris et doit modifier sa stratégie, mais en réalité il court après une sorte de survie de son appareil. Comme il ne s’ouvre que dos au mur pour sauver quelques élus, il le fait avec retard et « petit bras ». Ce qui ne peut pas enclencher une dynamique. Les élections régionales en sont une bonne illustration.

Vous évoquez la nécessité de rénover la politique. Qu’entendez-vous par là ?

Partons du constat : le capitalisme est à bout de souffle ; incapable de résoudre les problèmes humains les plus élémentaires, il fait ressurgir des fléaux qui étaient surmontés. La social-démocratie, complètement inscrite dans la société capitaliste qu’elle défend, n’est pas une réponse. En même temps émergent, notamment hors des partis, des forces qui ­mettent en cause cette société. Des forces qu’il est urgent et impératif de rassembler sur des bases communes, par-delà les différences, si l’on veut changer le rapport de force et contrarier le bipartisme, avec son alternance qui ne change rien. Comment faire ? Je vous donne acte que cela n’est pas facile. Mon but est de me mettre plus et mieux au service de ce grand rassemblement. Le PC était un carcan qui me gênait pour travailler plus largement avec tous. En le quittant, je ne renie pas ce qu’il fait – et doit encore faire – d’utile. Je souhaite dépasser ses limites.

Que comptez-vous faire dans les mois qui viennent ?

Vu la nécessité d’explorer des voies nouvelles, nous pensons qu’il faut travailler à tous les niveaux en essayant d’élargir le cercle. À Nanterre, nous créons un collectif Gauche citoyenne pour voir comment ­structurer un lieu, une vie, avec des moyens, afin de creuser des idées en invitant des personnalités compétentes et en les articulant à des actions concrètes Mais nous n’avons pas l’intention de nous cantonner au plan local. Aujourd’hui, beaucoup de choses existent en réseau, notamment la Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase), dont je suis partie prenante. On va essayer de voir comment on fait en marchant, en travaillant tous les possibles. Et en regardant les évolutions des forces actuelles.

Pourquoi ne pas travailler dans le cadre du Front de gauche ?

Le Front de gauche tel qu’il est aujourd’hui ne peut me convenir. Il reste limité par les écueils qui me conduisent à quitter le PC. Je souhaiterais vivement que le Front de gauche soit un vrai front de gauche large et pluriel. Or, pour l’instant, ce front, c’est le PC et le PG : ces deux formations dirigent et les autres sont invités à suivre.

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