Didier Porte : « C’est un contre-pouvoir de plus qui s’effondre »

Les humoristes Didier Porte et Stéphane Guillon ont été brutalement licenciés de France Inter.
Didier Porte affirme que l’on voulait sa peau en raison de ses critiques du pouvoir. L’affaire survient en pleine préparation, pour le moins chaotique, de la grille de rentrée de la radio.

Jean-Claude Renard  • 1 juillet 2010 abonné·es
Didier Porte : « C’est un contre-pouvoir de plus qui s’effondre »
© PHOTO : BERNARD/AFP

Politis : Vous êtes d’abord exclu de la matinale, confirmé pour votre chronique dans « le Fou du roi », puis finalement licencié de France Inter. Comment expliquez-vous ces revirements ?

Didier Porte : Il était prévu depuis longtemps que je sois viré. Cette chronique « J’encule Sarkozy », sous les traits de Dominique de Villepin, n’a été qu’un prétexte. Un prétexte auquel je n’ai jamais cru. J’ai vu clairement une campagne se monter contre moi. Cette chronique n’a soulevé aucune réaction de la part des auditeurs, ni du côté d’Internet. J’ai trouvé bizarre de recevoir un avertissement de la part de la direction. Quelques jours plus tard, j’ai vu mes petits camarades me dégommer, puis un écho dans le Nouvel Obs [appelant au renvoi de Didier Porte, NDLR] et enfin être accusé de transformer l’antenne en poubelle. J’ai eu la nette impression qu’on ­voulait ma peau. Après quoi, j’ai appris que Christian Estrosi avait appelé la présidence pour se ­plaindre de mes chroniques, j’ai vu Xavier Bertrand, sur France 3, le jour de mon éviction, afficher sa satisfaction, sans aucune pudeur. J’ai aussi vu un sénateur UMP déposer une question au gouvernement sur les dérapages des humoristes de France Inter. Je me suis senti naturellement visé, avec Stéphane Guillon. À l’évidence, mon éviction était programmée. La direction m’est tombée dessus. Mais elle est aussi tombée sur un os, à en croire les réactions des auditeurs.

Cela répond-il, selon vous, à une pression politique ?

C’est évident. D’autant que les humoristes sanctionnés sont les plus politiques de la station, et, par définition, ils critiquent le gouvernement, même si, de ma part, c’est davantage un choix idéologique, plus que chez Stéphane Guillon. Mais c’est le rôle des humoristes de s’en prendre au pouvoir. J’ai vite compris qu’on voulait ma tête, et que, si on la voulait à ce point, ce n’était pas que pour des ­raisons personnelles. Aujourd’hui, Jean-Luc Hees et Philippe Val tentent d’accréditer la thèse qu’on aurait voulu se venger, régler des comptes personnels, ou que l’on aurait été déloyaux. Ce n’est absolument pas ça. Nous n’avons insulté personne. Je me suis même exprimé contre un ­procès d’intention à leur arrivée en juin 2009 (à l’occasion d’une interview dans Télérama , puis dans un billet signé dans Siné Hebdo , NDLR). Pour cacher les basses œuvres politiques dont ils sont coupables, ils nous virent et, en plus, ils nous calomnient. C’est un contre-pouvoir de plus qui s’effondre. Cela peut paraître narcissique, depuis notre position. Il n’empêche, cela reste grave. On commence par nous, et après on généralise la méthode. Et un pouvoir qui s’en prend à ses bouffons est un pouvoir aux abois. Ce qu’on observe depuis des mois. Ce n’est pas très bon pour les deux ans à venir.

Si l’humour n’a pas sa place à 7 h 55, selon l’idée de Philippe Val, quel serait son horaire ?

Cette tranche a toujours existé sur France Inter. On peut s’interroger, s’étonner qu’elle n’ait plus sa place soudainement. On peut surtout s’étonner de cette suppression à deux ans de la présidentielle donc, alors que le pouvoir est affaibli, que Nicolas Sarkozy n’a jamais été aussi bas dans les sondages… Maintenant, comme par hasard, l’humour n’a plus sa place à 7 h 55 !

Vu l’audience que vous réalisiez, vous, Stéphane Guillon et François Morel, France Inter n’est-elle pas en train de se tirer une balle dans le pied ?

Curieusement, ce sont les pics d’audience qui sautent ! Les chroniques de 7 h 55 et la mienne de 12 h 05 dans « le Fou du roi ». Il est donc très étonnant de voir les dirigeants de la station supprimer simultanément ces deux succès. De là à en déduire que Jean-Luc Hees et Philippe Val ont envie de casser la boutique, il n’y a pas loin. Parce qu’il y a là du masochisme, et du masochisme manageurial. Ces dirigeants ont été mandatés pour affaiblir France Inter, tout en sachant très bien que la station ne sera jamais à leur botte. Parce qu’elle a une tradition sociologique de gauche, comme ses auditeurs, toujours irrévérencieuse à l’égard du pouvoir et irréductible de ce point de vue. Et puisqu’on ne peut pas mater la station, on l’affaiblit. C’est aussi dans la philosophie du gouvernement actuel de s’en prendre au service public, à tous les services publics.

Vous avez connu plusieurs directions. La situation
d’Inter s’est-elle, selon vous, dégradée depuis les nominations
de Jean-Luc Hees et de Philippe Val ?

C’est d’abord lié au mode de nomination, avec d’emblée un problème d’autorité. Jean-Luc Hees a sans doute été un très bon animateur de radio. Mais il n’a pas laissé le souvenir d’un gestionnaire de ressources humaines extraordinaire, ni de ressources tout court très performant. De son côté, Philippe Val a réussi à couler ­Charlie Hebdo . Et en termes de ressources humaines, c’est une catastrophe. On a même été obligé de lui adjoindre une responsable de France Culture [Laurence Bloch, NDLR] pour lui permettre de communiquer avec le personnel, tant il est détesté et d’un autisme absolu ! C’est quelqu’un qui ne m’a pas adressé la parole en un an, depuis qu’il a été nommé, alors que je suis l’un des chroniqueurs les plus réguliers et présents à l’antenne depuis une décennie !

Ces exclusions ne sonnent-elles pas la fin de l’identité de France Inter ?

Non, parce que fondamentalement France Inter a toujours été plus forte que ses dirigeants. Sur le long terme, elle s’en sortira. Je suis optimiste là-dessus. Elle a connu des dirigeants médiocres, des partis pris, et s’en est toujours sortie. Au reste, je ne suis pas sûr que les deux lascars aillent au bout de leur mandat. Ils n’ont pas bougé depuis un an, et maintenant qu’ils bougent, c’est un cataclysme. Du jamais vu à France Inter, avec une vague de protestations importante soldée par 9 000 mails de protestations, à 98 % contre notre licenciement, en à peine 48 heures ! Et ce contrairement aux déclarations de Jean-Luc Hees, au « Grand Journal » de Canal +, mentant de façon éhontée, disant que les réactions étaient partagées à 50 %. Il faut un sacré sens de l’honneur et de la vérité pour avancer des choses pareilles !
En tout cas, il règne un certain malaise, beaucoup de colère au sein de la station, des producteurs et des salariés en général. Il me semble que les responsables ne l’imaginaient pas, parce que Jean-Luc Hees est d’un mépris absolu. Les réactions des professionnels et des auditeurs le laissent relativement indifférent, car il estime que dans trois mois tout sera rentré dans l’ordre. Il se trompe, et sa crédibilité, comme celle de Philippe Val, est sérieusement entamée.

Quelle est la suite professionnelle pour vous ?

Daniel Schneidermann m’a proposé une chronique, à partir de la rentrée, à « Arrêt sur images ». Il pourrait y avoir d’autres collaborations, ici et là, a priori sur Internet. Je ne vois pas quelle radio me solliciterait. Et je ne me vois pas travailler ailleurs qu’à France Inter. Pour le coup, je suis un pur produit de la maison. Les reconversions sont donc limitées. Il me reste la scène, je vais donc en profiter pour écrire un nouveau spectacle, travailler un peu plus sur scène.

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