Les Droits de l’homme victimes de la crise

Plus de deux siècles après leur affirmation, les Droits de l’homme peinent à progresser. Les attaques à leur encontre se multiplient même depuis une dizaine d’années, comme l’a montré un colloque récent.

Blandine Le Cain  • 1 juillet 2010 abonné·es
Les Droits de l’homme victimes de la crise
© PHOTO : DE SAKUTIN/AFP

«Je serai le président des Droits de l’homme » , avait déclaré Nicolas Sarkozy en 2007, lors de la campagne pour l’élection présidentielle. Trois ans et plusieurs visites emblématiques de dirigeants étrangers plus tard, l’illusion est définitivement effacée. Ses rencontres avec Mouammar Kadhafi, président libyen, Bachar El-Assad, président syrien, ou, plus récemment, Hu Jintao, dirigeant chinois, ont mis en évidence le peu de poids accordé aux Droits de l’homme par rapport à la perspective de contrats commerciaux entre États. La logique économique mondiale prévaut sur la défense des droits fondamentaux. Si cette ambivalence ne date pas d’hier, elle est relancée par la crise économique mondiale. « Que deviennent les Droits de l’homme face à la crise ? » était le sujet du colloque bisannuel du Forum mondial des Droits de l’homme, organisé cette année à Nantes entre le 28 juin et le 1er juillet.

La crise accentue les situations de discrimination et de privation de droits. Les populations souffrant déjà de la pauvreté et de l’insécurité s’enfoncent dans la misère, et ces fléaux touchent de nouveaux individus. C’est ce qu’explique Gérard Fellous, ancien secrétaire général de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans un ouvrage consacré à ce qui menace l’universalité des Droits de l’homme [^2]. Selon lui, la crise « met en cause les droits fondamentaux : elle se traduit en pertes d’emploi et de logement, en restrictions d’eau et de nourriture, en discriminations ». Des facteurs qui exacerbent le racisme et la xénophobie, sources d’insécurité. Sur le terrain, associations et ONG tentent de ­lutter contre cette contagion. À l’échelle mondiale, le programme des Nations unies pour le développement (Pnud) vise à promouvoir les droits humains dans les pays du Sud. Mais les pressions politiques de l’Organisation des Nations unies ou les sanctions économiques du Fonds monétaire international peinent à contrer l’influence des accords commerciaux qui rejettent toute démocratisation, en Asie ou en Afrique notamment. La réaffirmation des Droits de l’homme reste donc nécessaire alors que la priorité affichée par les pays du Nord est la reconstruction de l’économie.

Avant la crise, les droits de l’homme étaient déjà remis en cause, rappelle Gérard Fellous : « La situation change et se radicalise à mesure que les valeurs universelles perdent de leur autorité et de leur légitimité. » Cette perte d’universalité, clé de voûte des Droits de l’homme, est pour lui une conséquence de la mondialisation : dans un système uniformisé, globalisé, qui « fait table rase de toutes les différences et de toutes les valeurs », la « singularité des formes » s’affirme en opposition aux logiques commerciales et économiques standardisées. D’où un relativisme culturel qui « consisterait, au nom du respect du droit à la différence, à accepter tous les excès ou tous les “abus” légitimés par une culture » . Et qui serait destructeur, comme le note Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie, cité dans l’ouvrage : « Quelle serait la portée, l’efficacité et le devenir d’un droit que seuls certains États appliqueraient, tandis que d’autres le bafoueraient au nom de spécificités culturelles, religieuses, nationales ? »

Cette tendance est ressentie par une grande part des Français, comme le confirme une étude réalisée pour le Forum mondial des Droits de l’homme. Menée auprès de mille personnes, elle révèle que 62 % des personnes interrogées pensent que la situation des Droits de l’homme tend à se dégrader ou n’évolue pas, et 72 % pensent que la crise économique représente une menace supplémentaire pour leur respect dans le monde. Surtout, un tiers des sondés déclare considérer la montée des intégrismes religieux comme la première menace pesant sur les Droits de l’homme, devant les difficultés économiques et financières, et la pression des entreprises multinationales.

L’universalité des droits humains subit donc l’attaque d’un relativisme, qui privilégie la culture d’un groupe à l’individu. Loin d’être involontaire, cette remise en cause est portée par des pays comme la Chine, les pays d’Asie du Sud-Est ou les pays islamiques, contre ce qui serait l’outil d’un néocolonialisme occidental et une vision ethnocentrique. Une « sorte de croisade laïque moderne », résume Gérard Fellous, accusation difficile à contrer, car « il est malaisé de prouver qu’il ne s’agit pas d’une projection inconsciente de soi sur autrui ». Ce conflit entre cultures et Droits de l’homme s’illustre sur des thématiques comme le port du voile ou l’excision. L’auteure musulmane Ikbal el Gharbi, citée dans l’ouvrage, défend pourtant une coexistence de ces droits et de la religion. Selon elle, l’islam « recèle en lui des mécanismes de tolérance et de progrès qui lui permettraient d’intégrer, au prix de certaines transformations, les exigences de démocratie et de Droits de l’homme » . Des cultures qui s’imprégneraient des Droits de l’homme plutôt que l’inverse, ne serait-ce pas la clé pour préserver l’universalité des droits ?

[^2]: Les Droits de l’homme, une universalité menacée, La Documentation française, 2010.

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