Mais où sont passés les chasseurs ?

Alors que s’ouvre la chasse en France, on constate une diminution du nombre de pratiquants, qui s’accrochent à leurs derniers pouvoirs politiques.

Claude-Marie Vadrot  • 16 septembre 2010 abonné·es
Mais où sont passés les chasseurs ?

Depuis quelques jours, les ouvertures de la chasse se succèdent sur le territoire métropolitain français. « Ouvertures » au pluriel, car du sud au nord les décrets préfectoraux sont pris un par un : ils tiennent un peu compte de l’état du milieu naturel, mais témoignent surtout de l’efficacité des pressions exercées par les fédérations de chasseurs pour que les tirs commencent le plus tôt possible. Malgré ses inquiétudes relatives à son avenir et à l’éclatement progressif entre « chasseurs riches » et « chasseurs populaires », la communauté des porteurs de fusil de chasse se sent pousser des ailes depuis 2002. Ils ont bénéficié de la crainte qu’ont pu inspirer à la majorité les quelques succès locaux de Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT). Pour être certaine de racler les voix des chasseurs, la droite a adopté pas moins de ­quatre textes législatifs augmentant les pouvoirs des fédérations de chasse et remettant en cause le peu de mesures que Dominique Voynet, alors ministre de l’Écologie, avait instituées, notamment la journée sans chasse, qui fut supprimée par Roselyne Bachelot. Grâce aux efforts du « Groupe chasse » de l’Assemblée nationale, un club très influent qui recrute aussi bien à gauche qu’à droite. Comme au Sénat, ce groupe réunit le plus de parlementaires en général insensibles aux modestes demandes des écologistes.

La puissance des milieux de la chasse ne repose pas seulement sur l’illusion qu’ils entretiennent auprès des politiques et des préfets qu’ils font et défont encore les élections des députés, des sénateurs et des conseillers généraux. Mais rares sont les parlementaires qui ont conscience que la France rurale a en partie perdu son poids électoral et que la défense de la chasse ne mobilise plus qu’à un âge avancé… La puissance rémanente des chasseurs réside surtout dans le poids économique qu’ils représentent. Le flux financier annuel de la chasse s’élève à 2,3 milliards d’euros : un magot qu’en raison des procédures non démocratiques des élections de leurs représentants les chasseurs sont moins que jamais en mesure de contrôler.

Même si cet argent est pour moitié environ consacré au remboursement des dégâts causés aux agriculteurs par le grand gibier, le système n’est pas très transparent. La chasse représente également 23 000 emplois directs. Il faut y ajouter des dizaines de milliers d’emplois induits : depuis les élevages de gibier, qui ont un grand poids économique, jusqu’aux restaurants et autres hôtels discrets, en passant par la vente des fusils, des cartouches et des vêtements. Tout un réseau de commerces qui soutient les chasseurs dans leurs revendications. Pour le mesurer, il suffit de lire le Chasseur français ou d’autres revues de chasse, dans lesquelles s’affiche le milieu économique et commercial qui soutient cette activité.

Cette situation encore dominante est d’autant plus surprenante que, depuis le début des années 1990, le nombre des chasseurs diminue régulièrement. Au rythme de 2 % par an, ce qui fait que le nombre des détenteurs de permis ne dépasse plus guère 1,2 million. Chiffre faussé par le nombre grandissant de chasseurs qui prennent un permis dans plusieurs départements. Au point qu’un spécialiste lucide de la chasse estime qu’ils ne seront plus que 700 000 d’ici à 2020, alors qu’ils ont été jusqu’à 2 millions. Il semblerait que les Français qui chassent s’intéressent de moins en moins à leur sport et ne le pratiquent que sporadiquement. Pour preuve, les revues de chasse sont de moins en moins lues, pas même un chasseur sur deux ne les achète, alors qu’en Allemagne, où il y a 450 000 chasseurs, les revues spécialisées se vendent mensuellement à 650 000 exemplaires. Dans un pays où les responsables de la chasse ont eu l’intelligence et le courage d’accroître les difficultés d’obtention des permis de chasse, alors que celui-ci reste en France une banale formalité. Ce qui incite les organisations, dans un effort demeuré pour l’instant infructueux, à recruter de jeunes pratiquants, puisque l’on peut chasser à partir de 16 ans.

Dans beaucoup de sociétés de chasse, la moyenne d’âge des membres approche ou dépasse 70 ans, ce qui explique que, dans beaucoup de départements, le président de la fédération de chasse ne soit plus l’un des dix notables qu’un nouveau préfet se doit de rencontrer. Autre phénomène nouveau, les responsables sont de plus en plus souvent de culture urbaine, connaissent assez mal la nature, surtout ceux qui, comme en Sologne (là où chasse madame Woerth…), par exemple, confondent tir et massacre d’animaux à moitié apprivoisés. Ces « viandards », de plus en plus nombreux, vivent à des années-lumière des chasseurs populaires que l’on rencontre encore dans la Somme, le Nord, le Bordelais et parfois dans le sud de la France. Ces derniers, qui chassent souvent pour améliorer l’ordinaire, ne se sentiront certainement pas représentés par le probable prochain patron des chasseurs de France : un Niçois, ami de Christian Estrosi, qui devrait être élu sans difficultés.

Ces évolutions du monde de la chasse, ainsi que la prise de conscience de l’importance de la biodiversité, qui gagne du terrain, expliquent probablement une part des difficultés des chasseurs. Cette communauté serait-elle menacée de disparition ? Malgré les efforts d’un chargé de communication, Thierry Coste, qui travaille depuis quelques années à améliorer leur image après avoir soigné celle de Chasse, pêche, nature et traditions, et qui réussit mieux auprès des parlementaires qu’auprès du public…

Écologie
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