Écouter le peuple ? Vous plaisantez !

La commission des Affaires sociales du Sénat apporte quelques modifications marginales au projet de réforme mis en débat. Mais pour l’essentiel, il reste identique aux volontés de Sarkozy.

Pauline Graulle  • 7 octobre 2010 abonné·es
Écouter le peuple ? Vous plaisantez !
© Photo : yacono/AFP

C’est promis-juré, le Sénat va rendre la réforme « la plus équitable possible » , a déclaré Gérard Larcher, président de la Haute Chambre. Sauf coup de ­théâtre, les sénateurs, qui examinent depuis mardi le projet de loi sur les retraites, n’ont prévu de modifier qu’à la marge un texte tout aussi injuste que celui adopté à l’Assemblée nationale à la mi-septembre. Ainsi en a décidé la commission des Affaires sociales du Sénat, réunie les 28 et 29 septembre pour amender le projet de loi, afin, était-il annoncé, « de renforcer les dispositifs de solidarité en faveur des plus fragiles » .
Or, bien loin des grandes « avancées » dont se félicitait Éric Woerth à l’issue des trois jours de travaux, le cœur de la réforme est maintenu. Ni les bornes d’âge ni la durée de cotisation n’ont été retouchées. Les propositions tant attendues sur les inégalités de retraite entre hommes et femmes seront réduites à leur plus simple expression pendant les dix jours de débat. Tout juste le gouvernement a-t-il promis de s’attaquer aux inégalités de… salaires : « Les entreprises seront certes obligées de conclure un accord sur l’égalité salariale hommes-femmes, mais il n’y aura pas de sanction si elles ne le respectent pas, donc ça ne changera rien » , explique Martine Billard, députée du Parti de gauche. Enfin, la question de la pénibilité a été évacuée par la commission des Affaires sociales.

Il faut dire que ses 56 membres ont eu droit à deux invités de marque : Georges Tron, secrétaire d’État à la Fonction publique, et Éric Woerth, ministre du Travail, qui n’ont pas hésité à « sécher » le Conseil des ministres du mercredi matin pour venir en personne veiller au grain : « Depuis la réforme de la Constitution voulue par Nicolas Sarkozy, les ministres peuvent assister aux commissions parlementaires, ce qui avait déjà été le cas de Roselyne Bachelot pour la réforme de l’hôpital , explique la sénatrice PC Annie David, dont le groupe a déposé 600 amendements. Si ça montre une certaine fébrilité du pouvoir, qui, malgré ce qu’il dit, voit bien que les manifestations sont importantes, ça pose quand même un sacré problème de démocratie ! »

Au point de créer un incident au premier jour des discussions, le rapporteur de la commission des Affaires sociales, l’UMP Dominique Leclerc, retirant tous ses amendements en catastrophe au prétexte qu’ils étaient « mal écrits »… pour les représenter quelques heures plus tard, après s’être fait taper sur les doigts par les ministres. « Le rapporteur voulait ajouter deux amendements sur la retraite par capitalisation , raconte Annie David. Le premier demandant aux caisses de retraite d’envoyer une information sur les assurances privées, l’autre, de lancer une étude sur la retraite par points. C’était dire un peu trop haut ce que le gouvernement pense tout bas… »

C’est dans cette atmosphère électrique que 142 amendements issus du groupe UMP ont été finalementdéposés à l’issue de la commission. Parmi toutes les victimes de la réforme, ce sont les travailleurs handicapés qui semblent s’en tirer le mieux : les sénateurs de la majorité proposent d’élargir l’accès à la retraite à 55 ans à des personnes « présentant 80 % de handicap », à « tous ceux reconnus comme travailleurs handicapés ». « Derrière les effets d’annonce, le ministre a déjà commencé à dire que cette mesure coûterait cher, donc rien n’est joué » , souligne Annie David. « Si c’est vraiment mis en place, c’est effectivement un mieux par rapport à la réforme de 2003, reconnaît Arnaud de Broca, secrétaire général de la Fnath (Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés). Mais la durée de cotisation reste fixée à 30 ans, ce qui exclut de fait beaucoup d’accidentés du travail et bon nombre d’autres salariés, notamment les fonctionnaires, qui ne sont pas concernés. »

En revanche, sur le volet pénibilité et le chômage des seniors, deux points majeurs dénoncés par les opposants à la réforme, la commission a freiné des quatre fers. L’allocation équivalent retraite (AER) est certes prolongée, « mais aucune avancée n’a été apportée sur le problème de fond du chômage des seniors » , souligne Annie David. En ce qui concerne la pénibilité, « la commission des Affaires sociales a rejeté les articles 26 et 27, qui assimilent la pénibilité à l’incapacité, ce qui est un point positif, mais aucune disposition ne traite encore de la pénibilité, et les travailleurs vont continuer de souffrir, et parfois de mourir, avant que ne s’ouvre leur droit à une retraite pleine et entière » , s’insurge André Causse, médecin du travail et militant CGT.
Enfin, les membres de la commission des Affaires sociales ont concédé un amendement sur la médecine du travail qui revient en partie sur sa mort programmée par les députés : « Éric Woerth, qui n’arrête pas de faire valoir que son père était médecin du travail, a assuré que l’indépendance des médecins était conservée, mais c’est une avancée en trompe-l’œil car elle reste sous le joug des employeurs » , précise Annie David (voir page précédente).

Au final, et sans surprise, après le passage en commission des Affaires sociales, le projet de réforme des retraites « n’a pas été remis en cause, résume Jean Desessard, sénateur Vert. On a grappillé quelques centimètres, alors qu’il nous faudrait avancer de cent kilomètres ». Les manifestants qui ont battu en masse le pavé samedi dernier inciteront-ils le Sénat à parcourir le reste ?

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