À contre-courant / Pas de nouveau traité sans référendum !

Liêm Hoang-Ngoc  • 11 novembre 2010 abonné·es

Le Conseil européen des 28 et 29 octobre était consacré à la gouvernance économique européenne. Certaines de ses propositions nécessiteront une révision du traité de Lisbonne, aux conséquences politiques non négligeables.
Souvenons-nous : la partie III du défunt traité constitutionnel, transformé sans référendum en traité de Lisbonne, voulait graver dans le marbre quelques principes néolibéraux de politiques économiques. Il pérennisait le pacte de stabilité, la mission purement anti-inflationniste de la BCE, l’interdiction faite à cette dernière de financer les États et un régime des aides d’États a minima , au nom de la concurrence libre et non faussée. Depuis, la crise a mis à mal tous ces principes, sans exception. Les déficits publics ont servi à financer plans de relance et de sauvetage du système, la BCE a injecté des centaines de milliards de liquidités pour soutenir la croissance, les aides d’État ont grassement recapitalisé les banques et hérissé le poil de la commissaire à la Concurrence de l’époque. Certains ont même cru au retour en grâce de Keynes.

Las, l’Allemagne néoconservatrice, dominatrice au Conseil, la Commission et la BCE sifflaient la fin de la récréation dès la fin 2009, sommant les États de mettre un terme aux mesures « non conventionnelles » et d’appliquer au plus vite des « politiques de sortie » . Celles-ci sont des politiques néolibérales renforcées, au cœur desquelles la réduction du périmètre de l’État social est inaugurée dans tous les pays par une « réforme » des retraites. Ces politiques sont présentées comme les seules à même de rassurer les marchés, de réduire les déficits et de relancer la croissance (sic !).

Le sommet européen a donc décidé de durcir le pacte de stabilité par des mécanismes de sanctions semi-automatiques pouvant être rejetées à la majorité qualifiée au Conseil. Celles-ci prendront la forme de dépôts bloqués, pouvant se transformer en amendes pour les pays qui ne rectifieraient pas le tir six mois après un rappel à l’ordre de la Commission. La suspension du droit de vote des pays budgétairement délinquants est envisagée. Preuve que l’air du temps est à la droitisation des idées, la BCE et l’aile droite de la droite allemande ont réclamé des sanctions automatiques en contrepartie de la pérennisation du fonds de stabilisation destiné à venir au secours des pays faisant l’objet d’attaques spéculatives. Loin d’être une concession au camp des « colombes » keynésiennes, ce fonds est le cheval de Troie des « faucons » orthodoxes. Son existence justifie, au nom d’un fédéralisme dévoyé, le droit d’ingérence de l’Allemagne, du Conseil et de la Commission pour imposer des cures d’austérité aux peuples européens. Elle permet aussi aux Britanniques, adversaires du fédéralisme, d’obtenir la limitation du budget communautaire.
Le sommet se targue en deuxième lieu de tenir compte pour la première fois des déséquilibres macroéconomiques.

Il propose de les traiter en instituant un mécanisme de surveillance de la formation des salaires. Les pays dont le commerce extérieur est déficitaire devront ajuster leurs salaires (à la baisse naturellement) pour rétablir leur commerce extérieur. Point n’est besoin d’accroître les fonds structurels pour assurer la convergence des pays du Sud et de l’Est européens. Dans l’Europe de nos Bisounours, le marché, où la concurrence entre les travailleurs et entre les entreprises sera libre et non faussée, fera pousser les investissements et les emplois comme des champignons.

Malheureusement, il est probable que les deux rigueurs, budgétaire et salariale, casseront définitivement la reprise. Les déficits se creuseront, conduisant les dogmatiques à préconiser de nouvelles mesures d’austérité qui entretiendront un cercle vicieux déflationniste. Dans un tel contexte, le maniement exclusivement expansionniste de la politique monétaire, défendu par le président de la BCE, serait insuffisant pour soutenir l’activité.
Les textes sont l’expression d’un rapport de force, disait Lénine. Les gouvernements feront donc tout pour éviter la ratification du nouveau traité par voie référendaire, et pour cause. Ils savent qu’une nouvelle victoire du « non » inverserait sérieusement le rapport de force en faveur de tous ceux qui résistent contre un nouveau tournant de la rigueur en Europe.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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