Licences bloquées, saison 2

Le règlement de la Fédération française de foot bloque de nouveau les demandes de licence de jeunes joueurs étrangers. Ce qui révèle une situation de discrimination ainsi qu’un mépris pour le foot amateur.

Ingrid Merckx  • 18 novembre 2010 abonné·es
Licences bloquées, saison 2

Les deux courriers sont datés du 29 septembre. L’un est adressé à la Halde, l’autre à la Cnil. Ils sont signés Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme (LDH). Objet : Licences bloquées, saison 2. « La Ligue des droits de l’homme tient à porter à votre connaissance le caractère manifestement discriminatoire des règlements généraux de la Fédération française de football ainsi que des pratiques qui en découlent à l’égard des enfants d’étrangers qui sollicitent une licence amateur. » Rappel pour ceux qui auraient raté la saison 1 : en mars dernier (voir Politis du 25 mars et du 8 avril), la LDH alertait sur l’existence de ces règlements attentatoires aux droits de l’enfant et aux principes d’égalité de traitement. En effet, pour toute première demande de licence, les joueurs amateurs mineurs doivent renseigner la case « français » ou « étranger ». Et, dans le second cas, fournir des pièces, dont « le justificatif d’identité et de nationalité des parents » , le « justificatif du lien de filiation » , ainsi qu’une « attestation de présence en France ces cinq dernières années » . Cette dernière n’existant pas en droit.

« Ce n’est qu’une stricte application des nouveaux règlements de la Fédération internationale de football (Fifa) pour protéger les mineurs des trafics » , s’est défendue, en substance, la FFF. « Tout le monde entend lutter contre ces trafics, lesquels frappent en majorité des adolescents originaires d’Afrique et d’Europe de l’Est. Mais pourquoi contrôler et pénaliser tous les étrangers jusqu’aux plus jeunes, même ceux engagés dans une pratique de loisirs, qui sont nés sur le territoire ou ne demandent qu’à s’intégrer via le sport ?, ripostaient les présidents de clubs amateurs concernés. Et puis, on n’est pas la police ! » À la suite de discussions, la FFF avait assuré que ligues et clubs « adapteraient les règlements » , feraient du « cas par cas » , en gros, débloqueraient les licences après « vérification » . Quelques mois plus tard, des centaines de licences sur le millier répertorié étaient validées.

Si la LDH a également saisi la Cnil, c’est parce que les demandes de licence doivent, depuis un an, être enregistrées sur Footclubs. Un logiciel commun à tous les clubs, qui transmet les demandes aux ligues régionales puis à la FFF et se trouve, de fait, en situation de ficher des données sensibles sans qu’aucune information ne soit précisée. À noter : une demande incomplète sous trente jours disparaît du logiciel et n’est donc plus comptée parmi les licences bloquées, sauf à renouveler l’opération. D’où la difficulté de ­connaître le nombre de joueurs touchés.

Voici qu’en septembre, rebelote. « Même des licences d’enfants de ressortissants de l’Union sont bloquées » , observe Robert Weinberger, président de l’ES parisienne, qui a pris la tête de la fronde en Île-de-France. Déplorant « de nouveau » une cinquantaine de licences en attente depuis la rentrée, il entend bien mettre la question sur le tapis lors de l’assemblée générale de la Ligue de Paris Île-de-France (LPDIF) le 4 décembre. « La Fifa ne souhaite pas revoir son dispositif, objecte Pierre Cibot, président de la LPIDF. Mais nous sommes déjà à l’origine d’un aménagement puisque, désormais, les joueurs étrangers de moins de 11 ans doivent fournir les mêmes pièces que les Français. » Depuis octobre, ne seraient donc concernés que les joueurs étrangers âgés de 11 à 18 ans. « Il y a beaucoup moins de licences bloquées que l’an dernier, se félicite-t-il, où l’on en avait près de 600 en Île-de-France. Le problème concerne principalement trois ligues – Île-de-France, Méditerranée et Rhônes-Alpes –, régions de forte immigration. »

La situation s’améliore donc, selon Pierre Cibot. Ce n’est pas l’avis de la LDH, qui estime que les instances du foot français, maintenant au fait du droit des étrangers, n’ont pas fait le nécessaire pour éviter la reconduction de ce traitement discriminatoire.

« Le problème concernait surtout Paris… Il s’étend ! » , alarme Hervé Grammatico, président du Stade olympique de Claret. Ce club d’une centaine de licenciés, situé dans un village de 1 200 habitants au cœur de l’Hérault, s’est vu refuser les licences de deux enfants, un Néerlandais et un Marocain de 6 ans dont le frère aîné a renouvelé sa licence. « Pour le justificatif de cinq ans de présence sur le territoire, la Ligue de Languedoc-Roussillon m’a renvoyé vers le maire, André Cot [PS], qui soutient notre refus d’envoyer les pièces. Sur une dizaine d’entraîneurs dans mon club, trois sont d’origine étrangère. Ce règlement nous choque : il est contraire à nos valeurs. L’intégration par le sport n’est pas qu’une belle idée : pour nous, bénévoles, c’est ce qui nous fait courir ! Toute l’année, on joue avec des banderoles contre le racisme, et on se retrouve à priver de licence des joueurs d’origine étrangère ? » Ces deux petits ont joué trois semaines sans licence. Comme ils n’étaient pas couverts en cas d’accident, Hervé Grammatico les a pris sur l’assurance du club. Il aurait pu être mis à l’amende : « Mais on était prêts à dissoudre le club ! Tout le village est avec nous ! » En face : la Ligue de Languedoc-Roussillon. « La lutte contre les trafics de joueurs est légitime !, ajoute-t-il. Et ce n’est pas idiot de se demander comment tel ou tel est arrivé en France. Mais on sait pertinemment que les trafics touchent les joueurs d’au moins 14 ans, le haut niveau et les clubs de formation, et non des amateurs de dernière division. » Il voit dans cette affaire une marque du « mépris » du foot professionnel à l’encontre du foot amateur, et des instances (ligues et districts) vis-à-vis des clubs.

Le SO claretain a écrit à un maximum de clubs, dans l’Hérault puis partout en France : « Footclubs a au moins un avantage, c’est qu’on peut communiquer très rapidement avec tous. » Il a reçu une trentaine de soutiens dont ceux de l’AS Neuilly (Aisne), l’AS Aguessa (Aveyron), la Jondière FC (Haute-Vienne), le FC Coulanges (Yonne), le Castelnau-le-Cres FC (34) et l’AS Celleneuve (Montpellier), qui interroge : « Fallait-il ajouter cette mesure au football amateur, qui souffre déjà d’un manque de bénévoles croissant ? » Pour un petit club comme le SO Claret, ce sont 4 documents au minimum par licence = 400 documents à envoyer. « Vous imaginez le travail que cela représente ? , fait remarquer Hervé Grammatico. Le foot amateur a perdu 25 % de licenciés, certains clubs ­mettent la clé sous la porte… On paie les dérives du foot professionnel ! Les gamins se tournent vers le rugby et le hand, et je comprends leurs parents : quand on sait qu’un match sur trois finit en bagarre… Il faut dire aussi que le foot est le seul sport où n’importe qui peut se déclarer entraîneur et se retrouver sans diplôme ni formation à débiter n’importe quoi sur un terrain… »

Le SO Claret a décidé de ne pas s’en tenir à une « douce obéissance » . « On a voulu faire du bruit, et on s’est un peu fait déborder , reconnaît son président. Du coup, on nous a à l’œil : mon terrain a été inspecté, c’est bien la première fois ! Je suis en règle mais au moindre faux pas… Le monde du foot n’aime pas la révolution ni ceux qui sortent du rang. Les clubs sont au service des districts et des ligues alors que ce devrait être l’inverse. Les informations descendent au lieu de remonter. Leur but, c’est d’assurer à la “fédé” que “tout va bien en bas”. Mais des histoires comme celle des licences bloquées, ça tue le foot ! »

Plusieurs clubs ont écrit à Nicolas Sarkozy et à Rama Yade, ex-secrétaire d’État aux Sports. Celle-ci a également reçu des courriers de députés et de la LDH. Tous restés sans réponse. Les ligues renvoient à la FFF, qui renvoie à la Fifa, tous se protégeant derrière la « moralisation des transferts » . « Les choses vont finir par se débloquer mais, moi, je veux que mes joueurs jouent maintenant !, s’agace Robert Weinberger. Se figure-t-on ce que c’est que trois mois sur la touche pour un joueur de 13 ans qui ne comprend pas l’injustice qui lui est faite ? » Certains clubs trouvent des combines, ne cochent pas la case « étranger » et renvoient une photocopie du passeport –  « ça passe… »  – ou font jouer sans licence. Hervé Grammatico confie : « Certains clubs m’ont dit : le pire, c’est qu’on n’avait même pas réalisé que fournir ces pièces était discriminatoire… » Et quid des licences « entraîneurs » ?

Société
Temps de lecture : 8 minutes