Une imposture sidérale

Les frères Bogdanoff s’invitent à nouveau sur France Télévisions pour une affaire d’ovnis. Un faux docu pitoyable.

Jean-Claude Renard  • 6 janvier 2011 abonné·es

Paraphrasons un peu : les imposteurs, ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît. Avec les frères Bogdanoff, dont Nicolas Sarkozy a encouragé le retour sur le service public, c’est du brutal. Bogdanoff, Igor et Grichka, docteurs en vulgarisation et falsification. Esbroufe et Cie. Se targuant de doctorats (mathématiques et physique théorique) avec la mention « honorable (c’est-à-dire la plus basse), obtenus grâce aux réseaux actifs, et dont les scientifiques réfutent les données, faute de travail rigoureux. En août dernier, après avoir reposé l’écran pendant vingt ans, les jumeaux ­faisaient leur retour sur France 2, avec une pseudo-émission, « À deux pas du futur ». Ils remettent le couvert en ce début d’année. Avec un sujet ronflant : Ovnis : vérités et illusions . Un titre qui résonne comme un effet de miroir. Et de quoi voir, « pour la première fois à la télévision, le phénomène ovni face à la science » .

Une musique pétaradante, des jeux de lumière, des effets spéciaux. En voix off : « Une institution française prestigieuse, le Cnes [Centre national d’études spatiales], nous a ouvert ses portes et ses dossiers. » Voilà pour l’intro (on verra par la suite que le Cnes n’ouvre que des portes déjà ouvertes sur une poignée de rapports sans poids ni mesures). Et l’un des fringants frangins, trogne virant en James Ensor, de s’avancer sur un plateau post-futuriste habillé de colonnes sur lesquelles sont affichés les portraits de Copernic, de Galilée, de Newton et d’Aristote. Rien que ça. C’est parti pour une histoire parmi les « plus controversées de notre temps. Une question qui soulève d’innombrables débats, parfois enflammés, et ce depuis plus d’un demi-siècle, sans qu’à ce jour aucune conclusion définitive n’ait pu être encore apportée » . C’est donc le moment de s’y engouffrer pour les frères Bogdanoff. D’autant que « les témoignages s’accumulent par milliers » . Des « milliers » qui, par la suite, vont donner deux témoignages et trois lectures informelles. Reste une donnée essentielle martelée : « Avec une institution scientifique, nous allons pour la première fois à la télévision réfléchir ensemble à cette énigme tenace. »

Passé ce préambule, suit un reportage à la Cité de l’espace à Toulouse. Archives du Geipan (Groupe d’études et d’information sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés), témoignage d’un pilote, rappel de quelques faits plus ou moins inexpliqués, des coïncidences, des photos qui font prendre un ballon d’enfant en plein air pour une soucoupe (soit des vessies pour des lanternes), un autre témoignage sous couvert d’anonymat, filmé en contre-jour (des fois que des extraterrestres reviendraient pour régler des comptes). Tombe l’analyse des ufologues, experts en « phénomènes appréhensibles » rapportant le récit d’un officier américain qui aurait vu, façon Soubirou, « une escadrille d’ovnis plonger vers le sol, en formation, et remonter à 45° à toute vitesse » . Forcément, dans ce contexte, « l’armée nous cache quelque chose » .

On n’est pas loin de la théorie du complot. Aux suspicions, les Bogdanoff répliquent par une formule impa­rable de la doyenne des ufologues, Francine Fouéré, aux ouvrages « réputés pour la qualité et le sérieux des comptes rendus » . Pas moins : « Notre cerveau et notre intelligence ne sont pas structurés pour comprendre ce phénomène. » Débat clos. Avant de ponctuer par la voix grave d’un Bogdanoff : « Dans l’univers, rien n’est impossible. » Sentence audacieuse et définitive.

Formellement, fondamentalement, l’exercice est une franche rigolade. Inscrite dans la case « Infrarouge », celle du documentaire pur de France 2. Une case où, dans la seule année 2010, se sont succédé 100 000 cercueils (sur le scandale de l’amiante), de José Bourgarel ; Scientologie , la vérité sur un mensonge, de Jean-Charles Deniau ; François Mitterrand et la guerre d’Algérie , de François Malye ; Romain Gary, le roman du double , de Philippe Kohly ; ou encore les Guerres secrètes du FLN , de Malek Bensmail. Loin de là, cet Ovnis des Bogdanoff relève d’un format magazine (copie conforme de « Temps X » dans les années 1980) et non pas d’un documentaire. Nulle écriture ni montage. Et le degré zéro de l’intelligence. Une imposture de plus. Sur France Télévisions.

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