Expulsé = condamné à mort ?

Alors que la loi sur l’immigration arrive au Sénat les associations remontent au créneau pour défendre le droit au séjour pour raisons médicales.

Noëlle Guillon  • 10 février 2011 abonné·es
Expulsé = condamné à mort ?
© Photo : GOBET / AFP

Arrivée en France en 2001, Gnima Solly, 44 ans, est sénégalaise et diabétique. Sans insuline, sa vie est en danger. « Au Sénégal, les médicaments existent, mais je n’y ai pas accès. Si je ne reste pas en France, c’est la mort assurée » , confie-t-elle. De 2004 à 2006, elle a pu bénéficier de titres de séjour lui permettant d’accéder à la couverture médicale universelle (CMU). Depuis, le renouvellement de ces papiers lui est refusé. Pourtant, en l’état actuel de la loi, elle devrait pouvoir bénéficier du droit de séjour pour raisons médicales. Une disposition rigoureusement encadrée : « La maladie doit être d’une exceptionnelle gravité [cancer, diabète, VIH, troubles psychiatriques, hépatites, handicap grave… NDLR], la personne doit résider en France, et la demande doit se faire sous l’encadrement d’un médecin agréé » , explique François Bourdillon, président de la Société française de santé publique.

Mais, vieux de douze ans, ce droit est aujourd’hui remis en cause. Par les préfectures, d’abord, qui en limitent arbitrairement l’accès. Par la nouvelle loi sur l’immigration, ensuite, déjà passée en première lecture à l’Assemblée et actuellement en discussion au Sénat. En effet, le 7 avril 2010, le Conseil d’État avait établi que, pour décider du refus d’un titre de séjour pour raisons médicales, il fallait vérifier les possibilités « effectives » d’accès aux soins des demandeurs dans leur pays d’origine. Or, l’amendement déposé par le secrétaire d’État aux Transports, Thierry Mariani, et voté par les députés, remplace « accès effectif » par « indisponibilité » du traitement.
La différence est lourde de conséquences. « La majorité des traitements existent dans la soixantaine de pays où nous sommes présents , témoigne Olivier Bernard, président de Médecins du monde. Mais pour qui sont-ils réellement “disponibles” ? Parfois, pas plus de 5 % de la population n’y a accès. » C’est au nom de l’éthique que des associations de défense des migrants comme le Comede, Médecins du monde, Act Up et l’Observatoire du droit à la santé des étrangers, ainsi que plusieurs sociétés savantes, ont décidé d’interpeller les sénateurs.

« Le terme “bénéfice effectif” est le résultat d’une réflexion tout au long des années 1990 pour que la loi remplisse son objectif : éviter qu’un refus d’admission au séjour en France ne signifie la condamnation à mort d’une personne malade » , rappelaient-elles le 31 janvier. En outre, cette disposition avancée dans l’amendement est une absurdité en matière de santé publique : concernant le VIH, par exemple, elle va à rebours de l’actuelle politique de dépistage, « dont le but est d’identifier la maladie pour proposer une prise en charge et un traitement , rappelle la Société française de santé publique. Sans être assuré de bénéficier d’un traitement, quel intérêt pourrait-il y avoir à se faire dépister et, qui plus est, à risquer de se faire renvoyer dans son pays d’origine ? » . « Cet article de loi vient démanteler ce qui a été obtenu en 1946 avec la Sécurité sociale et en 1998 avec la CMU » , dénonce Olivier Bernard. « En acculant des milliers de ­personnes à la clandestinité, cette mesure va durablement les éloigner d’une prise en charge adaptée » , alertent les associations. L’amendement Mariani s’appuie sur un mythe : l’immigration thérapeutique. « Il n’y a pas de tourisme sanitaire ! , s’insurge Willy Rosenbaum, président du Conseil national du sida. Les immigrés ne viennent pas en France pour se faire soigner mais pour travailler. »

Selon une étude de 2009 de l’Observatoire européen de l’accès aux soins de Médecins du monde, seuls 6 % des migrants citent la santé parmi les raisons les ayant poussés à partir. La plupart découvrent même leur maladie en France. Par ailleurs, le nombre de bénéficiaires de l’AME reste stable depuis 2008, selon le Comité interministériel de contrôle de l’immigration. Une telle mesure pourrait même engendrer un surcoût pour l’AME et les hôpitaux puisque ceux-ci recevront des patients avec des pathologies encore plus graves. Enfin, la non-prise en charge de certains patients pourrait accroître le risque de transmission d’agents infectieux pour l’ensemble de la société. Finalement, concluent les associations, qui dit restriction du droit de séjour pour raison médicale dit risque pour les migrants mais aussi potentielle dégradation de l’état de santé de la population.

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