« La sortie du nucléaire, une chance et non un problème »

Une nouvelle version du scénario énergétique à 2050 de l’association Négawatt est attendue en 2011. Son président, Thierry Salomon, envisage les bénéfices d’une sortie du nucléaire.

Patrick Piro  • 24 mars 2011 abonné·es

Politis :Avec la crise climatique, votre scénario « pour un avenir énergétique sobre, efficace et renouvelable » a suscité chez les experts officiels une certaine attention que pourrait raviver l’accident de Fukushima. L’heure d’une grande remise à plat a-t-elle sonné ?

Thierry Salomon : Nos travaux ont jusque-là soulevé chez les décideurs de la curiosité – intéressant, mais est-ce bien réaliste ? Alors que la question du nucléaire se pose aujourd’hui de manière pressante, nous ne nous faisons pas d’illusions : il y a d’énormes intérêts en jeu, notre futur scénario et nos propositions seront décortiqués et critiqués. D’autant plus qu’en France, au contraire de l’Allemagne, il n’y a pas de « scénario officiel » pour 2050 ni, a fortiori, de débat de fond sur le sujet.

Alors que celui-ci semble enfin possible, nous devons le préparer avec beaucoup de soin en creusant toutes nos hypothèses et les mesures à adopter, d’autant plus qu’il faudra aller plus loin encore qu’une division par quatre des émissions de gaz à effet serre, objectif officiel.

Vos travaux ne seront pas achevés avant l’été…

Des choix aussi importants et structurants méritent du temps, pour l’analyse et pour un débat citoyen sur notre modèle énergétique. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas eu lieu depuis 1975 qu’il faut trancher en quelques semaines. Pour la même raison, nous n’appelons pas à un référendum immédiat sur le nucléaire. Avant tout, il faut mettre toutes les cartes sur la table. Nous passons beaucoup de temps à expliquer qu’une sortie du nucléaire, malgré l’émotion actuelle, n’est pas le sujet central : ce que le débat doit aborder, ce sont les conditions d’une transition répondant aux défis énergétiques, climatiques et sociétaux de 2050. La sortie du l’atome en sera une conséquence éventuelle. S’enfermer dans un affrontement dual – le nucléaire oui ou non – nous conduira à des échanges réducteurs. Il faut de l’écoute, de la transparence et de la pédagogie sur ces questions complexes.

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Quoi de neuf dans le scénario
Négawatt 2011 ?**

Nous dépassons le stade des gains par secteur – économie d’énergie dans les bâtiments, mobilité plus douce, montée en puissance des renouvelables, etc. –, pour apporter un regard plus structurel : comment maîtriser l’extension de l’urbanisme – à quoi bon des maisons très basse consommation s’il faut à la famille deux voitures pour aller travailler ? Comment répartir et gérer les surfaces disponibles si l’on envisage une forte croissance de la biomasse pour les usages énergétiques ou les isolants thermiques naturels ? Que faire des routes et parkings en ville si l’on veut y réduire drastiquement la place de la voiture ? Comment répondre aux besoins et adapter les réseaux énergétiques à l’intermittence des renouvelables ?

Tout cela semble promettre des lendemains chiches à nos sociétés. Faut-il s’en accommoder ?

La réduction des consommations n’est pas celle de notre qualité de vie, au contraire même ! L’intérêt de ce type de scénario, c’est de proposer un chemin « de non-regret ». À l’inverse, par exemple, de scénarios très nucléarisés ou tardant à sortir des énergies fossiles, nous n’aurons pas à déplorer nos options, quoi qu’il arrive. De plus, il est très satisfaisant de travailler à léguer aux générations futures un système en état de marche, et des rentes plutôt que des charges. À ce titre, la sortie du nucléaire sera une chance pour nos sociétés bien plus qu’un problème !

Publié dans le dossier
Libye, la guerre du moindre mal
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