Socialistes, qu’ils disaient…

Ce n’est pas un hasard si Manuel Valls, Michel Rocard ou Gérard Collomb soutiennent la candidature de DSK : tous ont fait le choix « décomplexé » du marché, de la concurrence et de l’ordre.

Michel Soudais  • 7 avril 2011 abonné·es

Le Parti socialiste ne connaît qu’un traître : Éric Besson, son secrétaire national à l’économie rallié entre les deux tours de la présidentielle à Nicolas Sarkozy. Bernard Kouchner, Jean-Pierre Jouyet, Jean-Marie Bockel et Fadela Amara, qui, quelques jours plus tard, suivaient le même chemin, n’ont pas subi le même opprobre. Ségolène Royal pouvait évoquer les « socialistes qui sont au gouvernement » sans que nul n’ose lui reprocher de les qualifier ainsi. Rares sont d’ailleurs ceux qui ont cherché à comprendre comment ces figures « socialistes », et trois dizaines de conseillers ­formés dans les cabinets ministériels de la social-démocratie, ont pu passer du service du PS à celui de l’UMP sans avoir l’impression de se renier. Dommage. Car les débauchés figuraient parmi les chantres habituels de la « modernisation » de la gauche. Adeptes d’un pragmatisme aux convictions fluctuantes, ils ne cessaient d’inviter leur camp à brader ses ambitions transformatrices sur l’autel de cette pseudo-modernité. Une petite musique qui compte encore de nombreux interprètes rue de Solferino.

Au premier rang de ces modernisateurs, Manuel Valls joue sa partition en soliste. Le député maire d’Évry a publié au printemps 2008 un livre d’entretiens au titre radical, Pour en finir avec le vieux socialisme … et être enfin de gauche. « Le mot “socialisme” est attaché à un monde qui a disparu » , y professe-t-il, et « comme alternative au capitalisme [il] est dépassé » .

Une conviction déclinée sur plusieurs ­re­gistres. Sécuritaire quand il déclare que « la sécurité n’est ni de droite ni de gauche » , ou cosigne avec un élu UMP une lettre ouverte au garde des Sceaux pour se plaindre de la « surdité […] des magistrats du siège » du tribunal de grande instance d’Évry. Économique lorsqu’il appelle la gauche à « assumer clairement » les mots « concurrence » , « compétitivité économique » , « marché » , ou veut « déverrouiller les 35 heures » pour permettre aux Français de « travailler davantage » . Sans le moins du monde s’interroger sur le sens de leur travail ou sur la manière dont la richesse qu’il génère est ensuite répartie. Soliste également, Michel Rocard, qui, habitué des déclarations à contre-courant, assimile l’antilibéralisme à l’antichambre du goulag. Mais qualifie Nicolas Sarkozy de représentant d’ « une droite réformatrice et intelligente » avec laquelle la « gauche non révolutionnaire » peut trouver « une grande convergence » . « Pas hostile à l’idée d’un bouclier fiscal » et partisan de « réduire l’impôt sur la fortune » , Michel Rocard assure que le chef de ­l’État a montré qu’il « n’est pas un homme sectaire » , lui-même ayant été chargé des négociations internationales sur les pôles Arctique et Antarctique, propulsé président de la « Conférence des experts » sur la taxe carbone, avant de se voir confier la ­co­présidence, avec Alain Juppé, de la commission chargée de plancher sur les « priorités » de l’emprunt national.

Bien qu’atypiques, ces deux solistes ne sont pas aussi isolés qu’on pourrait le croire. De sa mairie de Lyon, Gérard Collomb entonne le même refrain contre « l’étatisme » qui inspire, selon lui, le projet socialiste, et les « promesses inconsidérées » qu’il contient. Lui aussi défend « un socialisme qui croit à l’entreprise » . L’entreprise version multinationale prédatrice ou société coopérative ? François Rebsamen, son camarade de Dijon, se fait fort lui aussi de rétablir « l’ordre et la sécurité de façon pérenne » dans les « quartiers extrêmement difficiles […] devenus aujourd’hui des zones de non-droit où règne la loi du caïdat » , si besoin « en faisant appel à l’armée » puisque « les gendarmes savent très bien mener ces opérations de “pacification” » . C’est probablement moins une promesse inconsidérée que l’engagement de réduire l’important chômage des jeunes non ­diplômés.

Valls, Rocard et Collomb envisagent de soutenir la candidature de Dominique Strauss-Kahn (Rebsamen n’a pas encore fait connaître son choix). Doit-on y déceler une relation de cause à effets entre leur vision d’une gauche moderne – comprenez marché, concurrence et pacification des quartiers populaires – et le choix de leur champion ? DSK est pour l’instant tenu au devoir de réserve que lui impose sa fonction de directeur général du FMI, depuis le 1er novembre 2007 (rappelons qu’un autre socialiste français, Pascal Lamy, dirige l’Organisation mondiale du commerce). Mais la philosophie que distille l’ancien ministre de l’Économie de Lionel Jospin, au gré de ses rares apparitions médiatiques, a tout pour plaire aux partisans d’un « socialisme du XXIe siècle » totalement converti à l’économie de marché (financier). N’a-t-il pas récemment confié, sur Canal +, que le socialisme consiste à « promettre tout juste un peu plus que le ­pos­sible »  ? Promettre peu pour ne pas décevoir est devenu le mot ­d’ordre des « réformistes », qui tiennent la rupture pour une illusion dangereuse. Contrairement à bon nombre de ses camarades, Dominique Strauss-Kahn et ses amis estiment depuis longtemps s’être émancipés de la crainte de ne pas paraître suffisamment à gauche. Et ce malgré un train de vie et un salaire (420 000 euros par an) qui rapprochent plus le potentiel champion de la gauche d’un trader de Wall Street ou d’un rentier des Yvelines que des classes moyennes en cours de déclassement.

Au soir de la présidentielle perdue de 2007, DSK jugeait que le PS n’avait pas su apparaître comme « une gauche moderne » . « J’ai tenté une révolution social-démocrate, elle n’a pas abouti » , regrettait celui qui n’avait recueilli six mois plus tôt que 20 % des suffrages socialistes lors de la primaire. Le futur directeur du FMI en concluait qu’il fallait « continuer à faire tomber des tabous sur le fond » . À bien l’écouter, Ségolène Royal, critiquée pour ses déclarations sur l’ordre juste, sa remise en cause des 35 heures ou l’encadrement militaire des jeunes délinquants, n’avait pas été assez loin.

Quels « tabous » fera-t-il tomber en 2012 ? Nul ne le sait. Tout juste apprend-on depuis son passage dans l’émission « À vous de juger » en mai dernier que l’âge du départ en retraite n’est pas pour lui « un dogme »  : « Si on arrive à vivre 100 ans, on ne va pas continuer à avoir la retraite à 60 ans. Il va bien falloir que d’une manière ou d’une autre ça s’ajuste. » Que les futurs centenaires soient plutôt des cadres au revenu confortable que des ouvriers ou des employés dont les métiers sont souvent pénibles importe peu.

DSK assure être de gauche malgré sa fonction qui l’a conduit à remettre en cause les acquis sociaux dans des pays en difficulté, notamment en Grèce (baisse des salaires des fonctionnaires, coupes dans les dépenses publiques ou de santé, allongement de la durée du travail). Comment croire que, demain, il distillera un tout autre discours, antagoniste avec les plans d’austérité qui visent à faire rembourser les massives pertes du secteur bancaire par les États et leurs citoyens ? La stagnation du niveau de vie en Europe « reflète un choix social conscient de travailler moins » , déplorait-il devant le European Banking Congress, à Francfort, le 19 novembre, pointant la faible croissance et le « chômage chroniquement élevé » qui en découlent.

Sur la délicate question des coordinations budgétaires, DSK laissait percer sa préférence pour « la solution la plus ambitieuse [qui] serait de créer une autorité budgétaire centralisée, dotée d’une indépendance politique comparable à celle de la BCE. Cette autorité établirait le cadre budgétaire de chaque État et allouerait les ressources depuis un budget central pour atteindre au mieux la double cible de la stabilité et de la croissance » . Bref, une gestion des affaires déconnectée de tout contrôle démocratique. Difficile d’imaginer disposition plus libérale et autoritaire contre la souveraineté budgétaire des peuples. Par comparaison, François Hollande, professant que « le véritable changement […] doit être de ­l’ordre de la pratique du pouvoir, des modes de décision, des formes de l’action publique [^2] » , fait figure de démocrate extrémiste et quasi révolutionnaire.

[^2]: Devoirs de vérité, 2006.

Publié dans le dossier
Enquête sur la gauche de droite
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