DVD : Harun Farocki, des images qui pensent

Christophe Kantcheff  • 23 juin 2011 abonné·es

Se tenant en marge de la production commerciale, Harun Farocki,
qui est de nationalité allemande,
réfléchit avant tout sur la nature des images, ayant réalisé plus de quatre-vingts films de genres différents (courts, longs, essais, fictions…), en même temps qu’il donne
des textes théoriques et produit,
depuis une vingtaine d’années,
des installations dans de nombreux lieux d’art contemporain.

Si Harun Farocki a bénéficié en 2009 d’une rétrospective de ses œuvres cinématographiques et audiovisuelles
à la galerie du Jeu de paume, à Paris,
son travail reste relativement confidentiel.
Le DVD que publient aujourd’hui les éditions Survivance est un bon moyen de le faire mieux connaître, d’autant qu’il contient deux films passionnants, réalisés à vingt ans d’intervalle, sur une même thématique : comment regarder des images de la Shoah ? Il s’agit d’Images du monde et inscription de la guerre (1988) et En sursis (2007).
Le premier revient sur les images aériennes d’Auschwitz prises en 1944. Fait marquant
et a priori scandaleux : ces images sont
le fait des Alliés, qui ont à l’époque négligé l’existence du camp parce qu’ils cherchaient à localiser tout autre chose : les grandes entreprises industrielles à proximité.
Ce n’est que beaucoup plus tard, à la fin
des années 1970, que des agents de la CIA
se sont de nouveau intéressés à ces photos, en quête, cette fois-ci, de clichés d’Auschwitz.

Images du monde et inscription de la guerre s’interroge ainsi sur la question du point de vue – c’est lui qui détermine ce
que l’on voit effectivement ou pas. Harun Farocki met aussi au jour ce geste apparemment contradictoire qui consiste à prendre une photo, donc à sauver – et par là même archiver – et détruire, puisque ceux qui prenaient les images étaient aussi ceux qui bombardaient ou qui détruisaient les Juifs.
En sursis est composé à partir des rushes d’un film inachevé, tourné sur ordre,
en 1944, au camp hollandais de Westerbork, par le photographe Rudolf Breslauer,
lui-même détenu et juif. Ces rushes contiennent les seules images existantes qui montrent le départ, étrangement tranquille, d’un train de déportés vers les camps de l’Est. Là encore, Farocki interroge le point de vue. Est-ce celui du commanditaire nazi ? Celui des victimes ? Celui du photographe ? Le cinéaste met en exergue l’extrême ambiguïté de ces images, censées montrer l’utilité de ce camp de transit, alors qu’elles sont hantées par le sentiment de la mort prochaine.

Culture
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