L’UE veut imposer l’austérité à perpétuité

Les États membres de l’Union européenne ont accepté le Pacte pour l’euro proposé par Bruxelles. La gouvernance économique qui en découlera se fera contre les populations des États membres. Les syndicats européens et des partis de gauche sont scandalisés.

Michel Soudais  • 16 juin 2011 abonné·es
L’UE veut imposer l’austérité à perpétuité
© Photo : AFP / Gouliamaki

José Manuel Barroso nous avait prévenus. « Une révolution silencieuse est en cours, une révolution silencieuse qui par étapes va aboutir à une gouvernance européenne plus forte », annonçait l’an dernier le président de la Commission européenne en se réjouissant des décisions prises par le Conseil européen. Les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne (UE) venaient d’accepter de remettre entre les mains des institutions européennes des pouvoirs très importants en matière de surveillance et de contrôle des finances publiques. Non seulement les réponses politiques à la crise qu’il préconisait avaient été approuvées par le Conseil, mais il avait obtenu que soit élaborée une nouvelle législation permettant à la Commission et au Conseil de s’immiscer dans des domaines sensibles relevant jusqu’ici de la compétence nationale, notamment le niveau des salaires et des dépenses sociales.
Un an après, la « révolution » de M. Barroso est en bonne voie. Un « paquet gouvernance » de six directives devrait être adopté le 23 juin par le Parlement européen, le lendemain par le Conseil européen. Il vise à élargir et à renforcer la surveillance des politiques budgétaires des États membres, mais aussi celle de leurs politiques macroéconomiques et de leurs réformes structurelles. De nouveaux mécanismes de contrainte, pour les États qui ne respectent pas les règles, complètent ce dispositif prévu pour être intégré dans le cadre du « semestre européen » [^2]
, dont le principe a été adopté par les ministres des Finances de l’UE le 7 septembre.

L’orientation politique de cette « coordination renforcée des politiques économiques pour la compétitivité et la convergence » a été fixée par les 17 pays de la zone euro dans un pacte adopté en mars et rebaptisé « Pacte pour l’euro plus » après la décision de 6 pays non membres de la zone euro [^3] de s’y joindre.
Ce pacte, qui va plus loin que le traité de Lisbonne, préconise notamment l’interdiction des déficits publics et fait obligation aux États membres de « traduire dans leur législation nationale les règles budgétaires de l’UE » au moyen d’un instrument juridique « suffisamment contraignant et durable »  ; d’où le projet de loi de réforme constitutionnelle adopté par l’Assemblée nationale le 10 mai et en discussion au Sénat depuis mardi, qui devrait inscrire le retour à l’équilibre des finances publiques dans le marbre de la Constitution de la Ve République ( Politis n° 1152). Comme le reconnaissent ses signataires, « ce pacte met surtout l’accent sur des domaines qui relèvent de la compétence nationale [sic] et sont cruciaux pour renforcer la compétitivité et éviter tout déséquilibre », mais « respectera pleinement l’intégrité du marché unique ». Il demande de veiller à ce que les salaires « évoluent en accord avec la productivité », quitte à « réexaminer leurs dispositifs de fixation », sans oublier « les accords salariaux dans le secteur public [qui doivent] soutenir les efforts de compétitivité consentis dans le secteur privé ». Et préconise une réduction des droits sociaux avec l’ouverture à la concurrence des « secteurs protégés » qui subsistent, « des réformes du marché du travail qui favorisent la flexicurité », ou la mise sous surveillance des régimes de retraite, les systèmes de soins de santé et des régimes de prestations.


Soutenu par les principaux groupes de pression patronaux, comme l’European Roundtable of Industrialists — un forum informel qui réunit les 45 dirigeants des plus grandes multinationales européennes — ou la fédération BusinessEurope, ce pacte n’a guère été médiatisé. Ou alors avec un argument d’un apparent bon sens : les États ne peuvent demander à l’Union de les aider s’il n’y a pas de règles établies. Il représente pourtant « le plus grand pas en avant effectué vers un modèle de gouvernance économique patronal, qui se traduira par une attaque massive contre les droits sociaux et les niveaux de vie », selon une analyse de l’observatoire Corporate Europe. Une « contre-révolution silencieuse », dénonce l’association Attac, qui a lancé, avec cet observatoire anglo-saxon, une initiative d’interpellation à destination des députés européens. La Confédération européenne des syndicats l’a unanimement condamné à son congrès d’Athènes (16-19 mai) et organise une journée d’action européenne le 21 juin, avec une Euro-manifestation à Luxembourg-ville, pour alerter sur les dangers de ce type de gouvernance.


Altermondialistes et syndicalistes attendent des partis de la gauche européenne qu’ils refusent clairement de voter des propositions aux conséquences dramatiques pour les populations. Seront-ils entendus ? En décembre, à l’Assemblée nationale, Henri Emmanuelli avait été le seul député socialiste à voter une proposition de loi du groupe Gauche démocrate et républicaine présentée par Martine Billard (PG) garantissant la souveraineté du peuple en matière budgétaire. Le 10 mai, tous les socialistes ont rejeté le projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques présenté par le gouvernement Fillon en application du Pacte pour l’euro plus. Mais au Parlement européen, les socialistes français ne sont pas représentatifs des socialistes européens.
Et la tentation est toujours forte, dans les instances européennes, de se débarrasser des contraintes que la démocratie fait peser sur les politiques budgétaires en transférant les décisions politiques dans une instance à l’abri des fluctuations électorales.


[^2]: Avec cette procédure de surveillance, les États présentent le premier semestre de chaque année leur politique budgétaire à la Commission et au Conseil européen, qui donnent leur avis avant le vote des Parlements nationaux au second semestre.

[^3]: Bulgarie, Danemark, Lettonie, Lituanie, Pologne et Roumanie.

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