Chevènement candidat : une erreur ?

Le président d’honneur du Mouvement républicain et citoyen a décidé de se présenter à l’élection présidentielle. Pour Jean-Philippe Domecq, il fait preuve d’une fière irresponsabilité. Pour Dominique Rousseau, sa candidature s’inscrit dans la logique de la Ve République.

Politis  • 17 novembre 2011 abonné·es

  • Jean-Philippe Domecq , romancier et essayiste français. À paraître, sur le même sujet : Cette obscure envie de perdre à gauche, éditions Denoël, 2 février 2012.

Alain Juppé eut le mot : « J’ai beaucoup d’admiration pour Jean-Pierre Chevènement ; repartir au combat en sachant qu’on fera, quoi, 3, 4, 5 pour cent, c’est une force d’âme qui mérite le respect   »… Et Brice Hortefeux, dans un accès de largesse : « Jean-Pierre Chevènement est un homme de gauche sincère et expérimenté, c’est-à-dire tout le contraire du projet socialiste porté par François Hollande. » La droite aurait tort de se gêner. N’ayant pas de problème avec « le pouvoir » , elle n’en perd jamais le nord, elle.

En vérité, si on rougissait ici comme au Japon de voir notre semblable commettre une faute ou un ridicule, nous devrions ne plus savoir où nous fourrer devant le dernier coup de menton de notre national « Che ». Non que l’homme ­n’appelle le respect, il a de la continuité dans les convictions et n’a pas tort de vouloir les faire entendre : l’Europe politique eut certes quelques défauts originels parce qu’on pensa alors, et à juste titre, qu’il fallait faire passer le marché avant la démocratie sociale, sans quoi on n’y arriverait pas. La triste leçon de l’échec du communisme était passée par là : à vouloir freiner l’argent, on bloque la première passion humaine qui à son tour bloque tout, toute invention politique.

Chevènement a aujourd’hui le sentiment que la crise de l’euro lui donne raison. Ce n’est que marginalement vrai, car la nation seule ne rendra pas le peuple plus libre de l’oppression financière, laquelle parachève mais aussi achève le capitalisme qui devait depuis toujours trouver plus rentable de gagner de l’argent par l’argent plutôt que par ­l’investissement productif où les hommes demandent des augmentations, des droits, et les femmes des congés maternité…

Chevènement a son côté veilleur de nuit républicaine, comme en 1981 le candidat Michel Debré veillait au flambeau d’un gaullisme dont les jeunes héritiers n’avaient plus que le mot. Surtout, ce qui est frappant, c’est le portrait moral qu’offre ce responsable politique fièrement irresponsable. Sous prétexte que « le 21 Avril » ne doit pas être couperet au débat, il persiste dans le déni, sans vergogne, qu’il afficha, comme Taubira et l’extrême gauche, aux lendemains de cette « heure grise » de notre démocratie. Contrairement à ce qu’on croit, seuls les fautifs se regardent droit dans le miroir. Du reste, voyez comme Chevènement ergote  : c’est la mauvaise foi qui se dissimule en bravant. Et combien symptomatique la réaction de cette gauche qui, ayant trouvé Jospin « pas assez » (à gauche), lui mit tout sur le dos pour se laver les mains, les siennes, d’avoir plongé dans l’urne les bulletins d’une défaite voulue ; or, rien n’excusait qu’on ait chassé cet homme d’État comme un malpropre pour laisser passer un dogue et gagner un bonimenteur déjà atteint. L’aveu fut, de la part de Chevènement comme des autres, de se reporter cinq ans plus tard sur Ségolène Royal… Avoir lâché Jospin pour ça, belle ­intelligence…


  • Dominique Rousseau , professeur de droit constitutionnel à Paris-I, il prépare un livre sur le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Si l’on se place sur le plan de la procédure même de l’élection présidentielle, on peut évidemment reprocher à Jean-Pierre Chevènement sa candidature. Il la présente en effet lui-même comme une candidature de témoignage.
Or, une élection présidentielle est faite pour élire un président de la République ; c’est donc en détourner le sens que de s’y présenter non pas pour être élu, mais pour faire connaître ses idées politiques. Mais c’est aussi une pratique courante. Il suffit de se souvenir de la candidature, en 1974, de Bertrand Renouvin, royaliste, qui voulait réactiver son courant de pensée et non pas, évidemment, devenir président de la République, puisqu’il était royaliste !

On voit bien que Jean-Pierre Chevènement a lui-même un peu de mal à justifier sa candidature, car il a déclaré plusieurs fois que François Hollande était quelqu’un de très bien, qu’il gagnait sa stature d’homme d’État… La question est donc de savoir s’il n’utilise pas sa candidature pour négocier des circonscriptions ou des postes à responsabilités. On peut ainsi parler d’une instrumentalisation – on dirait en droit « un détournement de ­procédure » – de cette élection avec ce type de candidature. Ce n’est pas la seule, d’ailleurs.

Toutefois, cette situation est le résultat du déficit de débat démocratique en France. Si le mode de scrutin aux législatives était proportionnel, s’il y avait une véritable égalité d’accès aux médias, c’est-à-dire si les grands courants politiques avaient vraiment la possibilité de s’exprimer en continu entre deux moments électoraux et à égalité, ce ne serait pas la peine pour ces courants de se présenter à l’élection présidentielle.

En conséquence, on peut considérer comme normale cette candidature de Jean-Pierre Chevènement puisqu’il n’a pas d’autres moments pour avoir accès aux médias et faire connaître sa conception de la chose publique que le moment présidentiel. Il utilise donc cette élection comme substitut en l’absence de scrutin proportionnel et face au déficit de débat démocratique, comme le font les écologistes, le NPA, Dupont-Aignan, comme tous les courants qui n’ont pas beaucoup l’occasion de s’exprimer.

Ce type de candidature s’inscrit donc dans la logique de la Ve République d’instrumentaliser l’élection présidentielle comme moyen de faire connaître ses idées et pour exister politiquement puisqu’il n’y a pas d’autres moyens et d’autres moments pour faire jouer le pluralisme politique en France.
Quant à la question du fameux « vote utile », chacun est dans son rôle. Quand François Hollande en appelle au vote utile, il s’inscrit dans le sens même de l’élection qui est faite pour élire un président. Si, en revanche, Chevènement parle de vote utile, il entend utile pour diffuser ses idées.
Or, Jean-Pierre Chevènement a une pensée politique cohérente, continue, logique, argumentée, qu’il défend depuis longtemps et qui mérite d’être entendue.

Je suis en total désaccord avec lui, mais il doit pouvoir s’exprimer. Sa pensée devrait être entendue en dehors de la période présidentielle, mais comme le débat est en fait fermé, dans le sens où l’on voit toujours les mêmes acteurs politiques dans les médias, il ne peut qu’utiliser ce biais.

Clivages
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