Faut-il réformer le collège ?

Pour Danièle Sallenave, assurer le socle des fondamentaux jusqu’à la 4e est le seul moyen d’éviter la reproduction sociale. Philippe Meirieu, lui, approuve l’accompagnement personnalisé, les enseignements pratiques interdisciplinaires et l’effort pour plus de justice scolaire, contenus dans le projet de réforme de Najat Vallaud-Belkacem.

Ingrid Merckx  • 13 mai 2015 abonné·es
Faut-il réformer le collège ?
© Photos : - Najat Vallaud-Belkacem : AFP PHOTO / POOL / ETIENNE LAURENT - D. Sallenave : MEDINA / AFP - P. Merieu/MERlE / AFP

Illustration - Faut-il réformer le collège ?
{: class= »img-responsive spip-img center-block » width= »1020″ height= »422″}La réforme du collège m’inquiète, mais je ne crois tout de même pas qu’à cause d’elle notre monde va s’écrouler ! Il faut raison garder. Cela dit, je déplore que les Lumières soient optionnelles et qu’on ne comprenne pas la place que devraient tenir les humanités classiques dans la formation des jeunes. On veut leur enseigner le fait religieux ? Très bien, mais alors ajoutons-y les grandes philo­sophies et cultures de l’Antiquité. Et un enseignement sérieux des langues classiques, qui sont la source de notre langue et une expérience intellectuelle extrêmement formatrice.
Si on entreprend aujourd’hui cette réforme, c’est à cause de l’échec du collège unique. J’appartiens aux générations où il y avait un concours d’entrée en 6e, ce qui permettait déjà aux bons élèves de l’école primaire, de tous les milieux, d’entrer au lycée, et le système des bourses le complétait. C’était insuffisant, et le collège pour tous est un progrès. Mais, s’il ne fonctionne pas bien, c’est parce qu’on ne s’est pas donné pour priorité de fournir à tous d’excellentes bases. Et aujourd’hui encore, pour sortir de cette crise, on prend le problème à l’envers.

Il faut d’abord assurer le socle, ce qu’on appelle « les fondamentaux ». Ensuite, deux années de collège unique, mettons jusqu’à 14 ans. En 4e et en 3e, il ne serait pas impensable d’imaginer des filières, et, si les enfants étaient solidement formés, ce n’est pas la reproduction sociale qui les orienterait alors, mais leurs goûts, leurs connaissances et capacités.
Dans le collège unique, la sélection sociale continue de s’exercer ; les uns décrochent, et s’en sortent ceux qui sont aidés par leur famille. Le collège est inégalitaire parce qu’on ne donne pas les mêmes chances ­précocement à tous. Dans ma génération, beaucoup plus d’enfants de milieux ouvriers entraient à l’université. Et on fait comme si c’était la faute des langues anciennes !

Tout se joue en fait entre la maternelle et le CP, c’est là que se constitue l’égalité des chances et que se joue l’intégration. À la naissance, les enfants ont les mêmes dispositions, et c’est à l’école de les développer en leur apportant très tôt ce que le milieu, la famille ne sont pas toujours en mesure de donner. Qu’on enseigne donc d’abord à tous la lecture, la grammaire, le vocabulaire, l’expression, la compréhension.

Alors que 20 % des enfants arrivent en 6e sans maîtriser parfaitement la lecture, on veut qu’ils soient prêts à utiliser l’outil ­numérique ! Je suis fille d’instituteurs, je pense que l’école a des moyens efficaces pour s’opposer au triomphe des inégalités sociales, mais, en 6e, c’est déjà trop tard.
L’interdisciplinarité, c’est parfait si on a des disciplines cohérentes à croiser. À l’école primaire, parce qu’un seul maître est responsable d’une classe, il y a une interdisciplinarité naturelle, c’est rassurant pour les enfants, et il faudrait peut-être continuer ainsi jusqu’à la fin de la 6e.

Je regrette qu’on mette le latin en concurrence avec le tri sélectif des déchets ! Je pense qu’il faut d’abord former les enfants à la rigueur logique de la pensée et de l’expression. Si on n’y pourvoit pas, on ne fera que renforcer les inégalités, avec ou sans latin.

Illustration - Faut-il réformer le collège ?
{: class= »img-responsive spip-img center-block » width= »1023″ height= »434″}La réforme du collège a fait naître beaucoup d’espoirs et d’inquiétudes : pourra-t-on recruter 4 000 enseignants ? Cela suffira-t-il ? Inquiétudes sur le travail en équipe, l’accompagnement et la formation des enseignants, alors que la formation continue est sinistrée. Inquiétudes sur la fragmentation de la scolarité et la multiplication des dispositifs. Inquiétudes, enfin, sur l’égalité républicaine…

La droite a toujours considéré que la lutte pour l’égalité entraînait un nivellement par le bas. C’est faux : élever le niveau de tous bénéficie à tous et surtout à la République qu’on prétend défendre avec des enclaves pour privilégiés et un collège qui pratique la sélection. Il y a un débat à avoir sur les sacrifices que les « républicains » sont prêts à consentir pour sortir d’un enseignement élitiste. Car il n’y a pas d’égalité réelle au collège aujourd’hui. C’est pourquoi la réforme, malgré des aspects discutables, va dans le bon sens. Cela ne me choque pas que l’on supprime des filières d’élite (comme les classes bilangues) si c’est pour redistribuer ces moyens à tous.

L’enseignement doit avoir les mêmes exigences pour tous – c’est la fonction du socle commun. À cet égard, je défends l’idée de proportionner la dotation des établissements publics et privés sous contrat à la mixité sociale qu’ils acceptent d’assumer. Sur le plan pédagogique, j’approuve deux mesures de cette réforme : « l’accompagnement personnalisé » et « les enseignements pratiques interdisciplinaires » (EPI).

En effet, on ne peut que se réjouir du développement des temps d’« accompagnement pédagogique » au sein du collège et par les professeurs. Pour que cette « ré-internalisation » réussisse, il faut que le « socle commun » constitue un « tableau de bord », que le suivi personnalisé commence dans la classe et que le professeur principal coordonne l’ensemble.
Pour les EPI, rappelons que les disciplines ne s’effacent pas quand on les met en œuvre sur un projet commun. L’erreur du ministère a été de laisser penser que les EPI allaient mordre sur le temps d’enseignement des disciplines. Il aurait fallu montrer que, dans les EPI, on enseignerait bien les disciplines, et revoir les dotations horaires pour plus de dédoublements de classe. Pour pouvoir choisir son orientation, il faut avoir appréhendé les identités des disciplines. Et cette découverte doit se faire au collège par des activités « disciplinaires » et « interdisciplinaires », car la complémentarité est formatrice. Il faut aussi que le projet des EPI soit défini par les enseignants et que chaque élève s’investisse via une « production ».

Enfin, si nous tentions d’inventer un « collège nouveau », adapté aux défis de notre temps, il conviendrait de lui donner une identité qui prenne en compte la spécificité de l’adolescence : une « école fondamentale », avant la spécialisation. Avec davantage d’interactions entre pairs et de monitorat, et aussi, rêvons un peu, des expériences de « classes verticales » [^2] : regroupement de quatre classes de niveaux différents en un « micro-collège » qui constituerait un nouveau cadre…

Pour en savoir plus sur la réforme du collège

Politis : Un collège unique sur mesure ? (http://www.politis.fr/Un-college-unique-sur-mesure,30454.html)

Une vingtaine de professeurs de l’Éducation nationale en collèges et lycées se sont rencontrés sur Internet pour décrypter la réforme. Ils ont créé un site dédié : La réforme du collège 2016 en clair. (http://www.reformeducollege.fr).

[^2]: Voir le détail sur le blog : meirieu.com

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