Le revenu sans conditions est-il possible ?
Tous deux économistes de gauche, Jean-Marie Harribey et Baptiste Mylondo s’opposent sur la question du revenu d’existence, auquel le premier préfère la réduction du temps de travail et la redistribution.
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© COFFRINI/AFP
Le débat autour du revenu d’existence universel et inconditionnel dépasse les clivages politiques traditionnels à gauche et touche à la question fondamentale de la place du travail dans notre société. Au travers de ce projet commun, qui suscite tant de prospectives et d’expérimentations politiques, c’est l’accès ou non au travail qui constitue une préoccupation majeure. Chacun des membres de notre société a droit à un travail et à un niveau de vie décents, nous rappelle la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par les Nations unies. Or, l’actualité donne de saisissantes illustrations de la non-application de ces droits. En France, le taux de chômage bat des records, les emplois précaires sont de plus en plus nombreux et la pauvreté s’accroît. Les analyses montrent aussi que, d’ici à vingt ans, plus de 40 % des métiers seront impactés par le numérique, l’automatisation et la robotisation. Trois millions d’emplois pourraient être détruits d’ici à la fin 2025. Tout cela s’inscrit dans une perspective de crise mondiale du capitalisme, souligne Jean-Marie Harribey, qui estime que la proposition d’un revenu inconditionnel n’est pas viable car le travail est indissociable de la création de valeur. Il n’y aurait pas d’autre solution, pour amorcer les transitions de notre société, que de réduire le temps de travail et les inégalités de revenus, nous dit-il. Au contraire, défend Baptiste Mylondo, le revenu inconditionnel est une belle innovation de gauche dans un monde dirigé par l’idéologie de la croissance, où l’emploi est précaire et mal partagé. Pour lui, le revenu inconditionnel favorise l’éclosion et l’essor des activités non marchandes ou insuffisamment rentables pour être légitimes. Le salaire garanti serait aussi un outil de dépassement du salariat. Il permettrait d’aborder le travail différemment. Chacun pourrait enfin choisir son activité. Alors, le revenu inconditionnel est-il une solution ou une impasse ?
Comment définissez-vous ce que l’on nomme le revenu inconditionnel pour tous ?
Baptiste Mylondo : Quelles que soient nos activités, nous contribuons tous à la création de richesse et nous concourrons tous à l’utilité sociale. Ce principe devrait être reconnu et validé pour donner lieu au versement d’un revenu inconditionnel, donnant à tout le monde la possibilité de poursuivre cette contribution à l’utilité sociale. Dans mon optique, ce revenu est versé à tous les membres de la communauté politique, laquelle décide de le mettre en œuvre de manière inconditionnelle, c’est-à-dire sans critères de ressource, d’emploi ou d’absence d’emploi, et sans contrepartie. Par exemple, on ne demande pas aux bénéficiaires de rechercher activement un emploi, comme c’est le cas pour le revenu de solidarité active (RSA), de réaliser un travail d’intérêt général dans une logique libérale de workfare [^2], ni de se retirer du marché du travail dans une visée tout aussi libérale de « titytainement » [^3], qui consisterait à tenir à l’écart de la vie sociale une partie de la population. Le revenu inconditionnel doit en outre être suffisant. Suffisant pour échapper à la pauvreté, c’est-à-dire que son montant doit être au moins égal au seuil de pauvreté. Suffisant pour échapper à l’exclusion sociale, c’est-à-dire permettant d’accéder aux biens et aux services essentiels à la participation active à la société. Suffisant enfin pour échapper à l’exploitation salariale, ce qui signifie qu’on peut y ajouter des salaires mais qu’ils ne doivent pas être une nécessité. Autrement dit, le revenu inconditionnel doit permettre de se passer durablement d’emploi.
Jean-Marie Harribey : Cette question du revenu inconditionnel remonte aux
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