Christian Schiaretti : « Il faut mélanger les publics »

Réouverture, avec Ruy Blas, du TNP de Villeurbanne confié à Christian Schiaretti, metteur en scène « populaire ».

Gilles Costaz  • 4 novembre 2011 abonné·es

Le TNP est l’œuvre de Jean Vilar, qui lui donna son rayonnement dans les années 1950 et 1960. Mais l’histoire de ces mots est plus complexe. Firmin Gémier avait créé un Théâtre national populaire au Trocadéro, en 1920. Vilar en avait repris l’idée, préférant le sigle à l’appellation complète. Après la fin de l’aventure de Jean Vilar et de Georges Wilson, le ministre de la Culture Jacques Duhamel ne voulut pas que cette glorieuse étiquette disparaisse. Il la transféra au théâtre de la Cité, à Villeurbanne, près de Lyon, en 1972.

C’est ainsi que Roger Planchon dirigea longtemps le TNP, aujourd’hui confié à Christian Schiaretti, l’un des artistes les plus sensibles aux relations du public avec le répertoire et la création. La salle a fermé pour travaux pendant quatre ans. Elle rouvre, profondément transformée, dans quelques jours.

Le TNP va rouvrir après une longue fermeture. Dans cet événement qu’est-ce qui vous paraît le plus important ?

Christian Schiaretti : Le fait que, à un moment où le théâtre public doute de lui-même, où le théâtre français n’est pas brillant à l’échelle européenne, où l’œuvre intellectuelle marque le pas, et où l’on ne parle que de crise, soit de nouveau revendiquée l’ambition du théâtre populaire tel que l’ont défini Victor Hugo, Firmin Gémier, Jean Vilar, Roger Planchon, Antoine Vitez. Et dans une ville ouvrière, Villeurbanne ! Aujourd’hui, on revient aux grandes villes, on dénigre les banlieues. Villeurbanne, c’est la banlieue de Lyon. On a fait une première inauguration avec les associations de la ville, une pré-ouverture avec un bal africain et un buffet espagnol. Les travaux ont créé une proximité immédiate.

Les nouveaux bâtiments font-ils table rase de ce qui a existé ou tiennent-ils compte du passé ?

Le nouveau bâtiment accompagne l’histoire de cette ancienne Maison du peuple. Le fer, le béton, les dallages sont une référence à ce temps-là. Cela sent le travail, c’est à la fois industriel et raffiné, élégant et simple. Les changements nous ont permis de gagner huit mètres dans la hauteur et dix mètres pour le dégagement, en circulation et en profondeur. Et c’est un lieu uniquement pensé pour le théâtre, pas pour d’autres arts.
Ce qui est fort ici, c’est le lien avec les acteurs. La permanence des acteurs dans un théâtre, c’est mon credo depuis trente ans ! Nous disposerons de quatre salles de répétition, ce qui est exceptionnel, ­réparties sur les deux bâtiments. Cela permettra la pratique des répétitions alternées. Je tiens à un répertoire toujours en activité. Quand on jouera Ruy Blas, on pourra répéter les Molière. Quand on jouera les Molière, on pourra retravailler les Strindberg. Ce TNP, c’est la maison des comédiens et un outil à partager.

Pourquoi ouvrez-vous avec Ruy Blas de Victor Hugo ?

Monter un auteur romantique, c’est obscène pour la coterie qui nous entoure ! Vous imaginez qu’on monte Ruy Blas dans la Cour d’honneur à Avignon ? On vous dirait que c’est honteux !
Moi, je monte Hugo parce qu’il a posé la question d’un théâtre national populaire universel. Il fait la distinction entre le peuple et ce qu’on appelle la « populace ». Pour lui, populaire n’égale pas prolétariat, comme le penseront Romain Rolland et Firmin Gémier. Il pense à des artisans et à des ouvriers éduqués. Il admet et porte tout le temps l’ambiguïté du mot « populaire ». Moi de même ! Dans cette foulée, il fait l’apologie du mauvais goût, sachant qu’il s’adresse à des publics de classes différentes, celles de la Comédie-Française, de l’Odéon et du boulevard du crime.

Le drame romantique est une composition plurielle, qui mélange les styles dans un grotesque hugolien. Les esprits malins jugent cela maladroit. Ça ne l’est pas ! Hugo écrit une dramaturgie pour mélanger les publics, en pensant à la lecture que chacun aura. C’est très différent du théâtre populaire conçu pour une seule classe sociale. Son langage, c’est l’oxymore, l’association des contradictions. Chez lui, dans son expression excessive, le vers empêche le cliché. La versification est un code qui tient l’acteur et le spectateur dans une sorte de ­distance. Et il y a de si beaux vers. « De valetaille, de rouge et de galons vêtu »  : c’est magnifique ! La pièce est une fable politique qu’il faut savoir lire, autour de la question qui résonne aujourd’hui : un peuple est-il capable de prendre le pouvoir ?

Vous montez Ruy Blas en coproduction avec les Tréteaux de France, confiés à Robin Renucci, auquel vous avez donné le rôle de Don Salluste…
Je pensais à Robin Renucci pour ce rôle et je lui ai dit : « Tu n’es pas libre. » Il m’a répondu : « Mais si ! » La collaboration avec les Tréteaux permettra au spectacle de tourner davantage et de mêler nos savoir-faire.

Il y a aussi des textes contemporains dans votre programme ?

Bien sûr. Nous sommes engagés pour plusieurs années avec le Théâtre national de Strasbourg sur l’aventure du Graal Théâtre de Florence Delay et Jacques Roubaud. Denis Guénoun écrit pour nous Mai, juin, juillet sur le théâtre et la profession en 1968. L’écrivain attaché au TNP, Jean-Pierre Siméon, a terminé plusieurs pièces, dont une Passion du Christ que nous allons mettre en lecture. Alain Badiou, avec qui j’avais fait la série des Ahmed, me parle d’un nouveau projet. Etc.

Pourquoi dites-vous que vous ne pourriez pas présenter Ruy Blas au Festival d’Avignon ?

Je me rends définitivement incompatible avec des lieux dont l’affirmation est une défiance du théâtre ! Le Festival d’Avignon, j’en respecte la programmation. Mais le problème, c’est le désintérêt des gens de théâtre pour Avignon. C’est dommage, mais il y a un éloignement.
Moi, je ne cherche pas à être un grand metteur en scène, je ne cherche qu’à monter des œuvres, dans le souci des genres. Et, quand on est clair, on vous fait comprendre qu’on est simple. Trop simple !

Théâtre
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