Les dessous du Merkozy show

Liêm Hoang-Ngoc  • 17 novembre 2011 abonné·es

L’accord du 27 octobre laisse pantois. Les politiques d’austérité qu’il propose d’inscrire dans les constitutions feront plonger l’Europe dans une récession qui tarira les recettes fiscales et creusera les déficits. Elles amplifieront les risques associés à la détention de dettes souveraines, ce qui provoquera une tension sur les taux d’intérêt. Le bilan des banques se dégradera. Elles auront du mal à accroître leurs fonds propres, à l’heure où les Bourses spéculent contre elles, et où les États sont interdits de les recapitaliser pour cause de rigueur. Seul le Fonds européen de stabilité financière (FESF) serait à même d’organiser une restructuration des dettes et des recapitalisations, tout en se dotant d’une capacité d’intervention pouvant désamorcer toute nouvelle tension sur les taux. Il aurait pour cela fallu le transformer en embryon de Trésor fédéral européen, en mesure d’émettre des euro-obligations que la BCE serait autorisée à racheter à bas taux en cas de tension sur les marchés. Malheureusement, l’Allemagne refuse toujours, par crainte du retour d’une inflation fantôme, d’autoriser la BCE à intervenir et, en particulier, à participer au financement du FESF. C’est la principale raison du mécanisme de financement retenu.

Le fonds, initialement doté de 440 milliards, n’a plus en caisse que 250 milliards, après les plans d’aide à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal. Pour lever les 1 000 milliards réputés nécessaires pour rassurer les marchés, il a été transformé en quasi-fonds d’investissement à fonds propres réduits. Ce fonds lèvera les sommes nécessaires pour garantir les dettes souveraines en titrisant celles qu’il détiendra, c’est-à-dire en les transformant en produits dérivés vendus aux épargnants.

Bref, le FESF se comportera comme les banques qui ont titrisé les crédits hypothécaires pour actionner « l’effet de levier » : financer avec peu de fonds propres des prêts et des opérations juteuses… tant que les défauts de paiement sont marginaux. Or les défauts de paiement des ménages modestes n’ont pas été marginaux lors de la crise des subprimes… La récession accroîtra de même les risques de défauts associés aux dettes souveraines. On n’ose imaginer les effets de contagion sur la planète finance d’une titrisation des dettes italienne, espagnole et autres, si ces pays venaient à faire défaut.

La Chine fut sollicitée pour financer le fonds. Elle reste réservée, consciente de l’instabilité de la zone euro. Elle aurait pourtant pu tenir l’Europe comme elle tient les États-Unis, en finançant une dette qui soutient une demande favorable à ses produits, fabriqués à bas coûts et bénéficiant d’une monnaie sous-évaluée. Elle en aurait profité pour négocier à ses conditions son entrée dans l’OMC et dénoncer les tentations protectionnistes. Elle refuserait de réévaluer sa monnaie pour éviter une dévalorisation de ses avoirs en dollars et en euros.

Cet accord est explosif pour le système financier, menacé d’implosion dès lors que les politiques d’austérité n’ont aucune chance de réduire les déficits. Préférant un financement par la Chine à un recours à la BCE, il est dommageable pour tous ceux qui militent en faveur d’une protection de l’industrie et de l’emploi en Europe. Il trahit enfin l’alignement regrettable du chef de l’État français sur la stratégie européenne voulue par la chancelière allemande.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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