Délire sécuritaire et négation de l’enfance

Huit lois en dix ans ont aligné progressivement le droit pénal des mineurs sur celui des adultes. Un symptôme qui interroge la place de l’enfant dans notre société.

Ingrid Merckx  • 15 décembre 2011 abonné·es

Le 16 novembre, Agnès, 13 ans, est violée puis tuée par Mathieu, 17 ans, au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire). Ce lycéen avait été mis en examen en août 2010 dans le Gard pour « viol sur mineur de 15 ans ». Le 21 novembre, Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, déclare la réforme de la justice des mineurs priorité pour 2012. Quelques heures auparavant, François Fillon, Premier ministre, avait annoncé plusieurs mesures contre la récidive. En quelques jours, l’affaire prend un tour politique, avec réunions au sommet et interventions au journal télévisé. C’est l’exacte logique que suit le gouvernement depuis 2007 : chaque fait divers impliquant un mineur vient justifier l’annonce d’une nouvelle mesure pénale qui privilégie le répressif au détriment de l’éducatif. Motif : la justice serait trop laxiste et il faudrait lutter contre un prétendu sentiment d’impunité des jeunes.

En réalité, le taux de réponse pénale n’aurait cessé d’augmenter depuis dix ans, alors que les mineurs ne seraient pas plus violents aujourd’hui qu’hier. En trente ans, la délinquance des mineurs s’est modifiée : beaucoup moins de vols mais plus d’agressions verbales, d’usages de stupéfiants, d’infractions au droit de séjour des étrangers, de coups et blessures volontaires, d’infractions à personnes dépositaires de l’autorité publique, de destructions-dégradations et de viols. Les crimes ne représentent que 1 % du total des condamnations (surtout des viols). Ce qui signifie que 99 % des mineurs condamnés le sont pour des délits.

« Que la violence des jeunes n’ait pas augmenté ne la rend pas moins grave, précise Catherine Sultan, présidente du tribunal pour enfants de Créteil et de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. Mais cette politique du fait divers, c’est de la communication ! » Effets de manche venant renforcer la peur « du » jeune et le sentiment d’insécurité général. Lequel fonctionnerait à l’envers : plus on annonce de mesures contre les mineurs délinquants et plus les mineurs délinquants apparaissent comme dangereux. Travaux d’intérêt général à 12 ans ? Mesures éducatives à 10 ans ? Dépistage d’un « gène » de la délinquance à 3 ans ? Abaissement de la majorité pénale ?

En dix ans, pas moins de huit lois « durcissant toujours plus le droit pénal des mineurs et l’alignant progressivement sur celui des adultes » , compte Nicolas Bourgoin, sociologue et auteur de l’étude « La délinquance des mineurs, vrai enjeu politique, faux problème social » . Lois Perben I et II, loi sur les peines plancher, lois sur la sécurité intérieure… Depuis 2007, une réforme globale de l’ordonnance de 1945, qui fonde la justice des mineurs en France, est en cours. La commission Varinard a remis son rapport sur le sujet en 2008. Et la chancellerie planche sur un projet de code pénal des mineurs. La plupart des dispositions relatives aux mineurs adoptées dans le cadre de la loi Loppsi 2, ont été censurées par le Conseil constitutionnel le 10 mars 2011. Cela n’a pas empêché l’UMP d’appeler à la rédaction d’un « code pénal pour mineurs » lors de sa convention le 29 novembre.

« Le durcissement de la justice des mineurs a démarré à la fin des années 1990 avec l’importation d’Amérique de la “tolérance zéro” », souligne Catherine Sultan : « Glissement de la manière dont les jeunes sont appréhendés par le droit, pénalisation des comportements, défiance à l’égard de l’éducatif. Cela s’est accentué depuis 2001. » La systématisation de la réponse pénale en « temps réel » est « un dogme qui n’est plus remis en cause », déplore la magistrate. Ce qui entraîne un changement dans les pratiques : ce n’est plus la personne qui est prise en compte mais l’acte, alors que l’ordonnance de 1945 considérait l’acte comme un symptôme. « Pas d’alarmisme : la justice des mineurs reste une justice éducative», rassure cependant la magistrate. Il y a même quelques améliorations, autour des mesures de réparation notamment.

Un grand nombre des mesures ne sont en fait que des effets d’annonce. Par exemple, « les juges pour enfants ont déjà la possibilité de décider des mesures éducatives dès 12 ans car il n’y a pas d’âge minimum de responsabilité pénale. Seulement, c’est à eux d’apprécier l’âge du discernement. Le plus dangereux serait d’abaisser l’âge de la peine. » Ce que propose, entre autres, le rapport Varinard. Ce qui est vraiment inquiétant, selon Catherine Sultan, c’est la standardisation de la réponse pénale au détriment de l’individualisation, et l’aggravation du traitement des 16-18 ans.

« Au lieu d’un code pénal pour les mineurs, pourquoi pas un code de l’enfance ? » , ­suggère la magistrate. La peur des jeunes renvoie à la place des enfants dans notre société. « De nombreux jeunes sont envoyés par les écoles pour des troubles du comportement , témoigne Françoise L. Meyer, clinicienne du secteur de pédopsychiatrie de Saint-Denis (93). Nous avons le sentiment que c’est l’institution qui est malade, que les jeunes doivent de plus en plus répondre à une manière d’être et se conformer à quelque chose qui, en cas d’échec, les rejette. On voit des petits de 3 ans arriver avec ce message : “Ne travaille pas bien à l’école” ! Dès la maternelle, on qualifie de symptômes les réactions de l’enfant. »

À cet âge, ce qui est en cause, c’est le relationnel, rappelle la clinicienne, mais «  on n’interroge plus la relation, on met la responsabilité sur l’autre, on pathologise et on psychologise de plus en plus tôt. Nous, la première chose qu’on fait, souvent, c’est de prendre les tout-petits dans les bras. Sauf que toucher est désormais interdit… »

La détérioration du lien social a des répercussions importantes. « En 1968, il était question de révolte mais pas de délinquance. En 2005, on a immédiatement parlé d’émeutes. » L’enfant est passé du statut de sujet à celui d’objet. « Au lieu d’être celui qui va devenir, dont il faut prendre soin, on en fait un élément de consommation. Exit l’affect. Des parents me disent : Je lui donne tout ! Mais ils parlent de baskets, de jeux vidéo, avec l’illusion que son bonheur ne dépend que de ça. Conséquence d’un libéralisme effréné qui ne pense pas et ne se pense pas : l’enfant ne peut plus s’identifier qu’à un objet de consommation. »

De plus, l’enfant relève davantage aujourd’hui de la responsabilité de la famille que de celle de la société, et les modes de vie ont réduit l’espace où il peut penser son chemin et où l’adulte peut penser sa relation avec lui. « Pourtant, l’enfant, c’est celui qui nous dit qu’on ne va pas mourir, qu’il va porter nos idéaux, nos valeurs. Cette peur, ce déni d’enfance, et d’adolescence, c’est peut-être aussi l’aveu de notre refus de transmettre… »

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Jeunes dangereux ou en danger ?
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