Ogres de Barback : « Une attention au monde »

Les Ogres de Barback sont en tournée avec Comment je suis devenu voyageur. Rencontre avec Fred, auteur et chanteur.

Ingrid Merckx  • 1 décembre 2011 abonné·es

Rendez-vous était pris gare de l’Est. Avec non pas quatre Ogres – trois des frangins et frangines Burguière ont quitté le berceau de Cergy (95) pour le Sud – mais un, Fred, 35 ans, auteur et chanteur. Assis dans un café au bout des voies, en attente d’un train pour Nancy, où les Ogres jouent le soir même (1), il est installé devant un gobelet de thé, incognito.

« Les Ogres ne sont pas médiatiques. Pas de télé, pas de radio, pas de poster… Ça nous permet de vivre peinards… » Dix-sept ans de scène et 1800 concerts, 12 albums, 600 000 exemplaires vendus, et déjà 35 000 pour le dernier, Comment je suis devenu voyageur, une presse (écrite) dithyrambique, des fans fidèles et un gros capital sympathie… Pour autant, les Ogres ne se prennent pas pour des stars et Fredo n’a pas le melon. Juste une belle tignasse cachée sous un bonnet, et le regard plus joyeux que lorsqu’il chante. L’air serein, content même, il dégage une simplicité assez bluffante.

Quatre-vingts dates pour cette tournée, c’est beaucoup ?

Fred Burguière : Pas pour nous. Au début, nous en donnions une centaine par an. Nous avons commencé dans des hangars et des bars, nous nous déplacions dans des camionnettes qui tombaient en panne. Pour cette tournée, c’est le luxe : nous voyageons dans un bus avec couchettes et jouons dans de grandes salles avec des loges. C’est l’équipe locale qui installe… Nous sommes devenus un groupe de vieux ! Pas question d’enchaîner plus de trois, quatre dates par semaine ni deux semaines d’affilée. Nous avons tous des enfants (treize ogrillons). Et nous voulons garder les pieds sur terre : il n’y a pas que la route, et les gens qui t’applaudissent, dans la vie.

Vous êtes une vingtaine sur
ce spectacle. Qui vous entoure ?

En plus de nous quatre sur scène, il y a un acrobate, une personne pour le son, un relais éclairagiste et quelqu’un qui s’occupe de nos vingt instruments ; et puis deux autres personnes pour le son et l’éclairage en façade, une qui fait de la vidéo, un chef plateau, un manageur tourneur, deux chauffeurs… Tous sont des copains, des cousins ou des gens avec qui on travaille depuis dix ans. C’est la colo ! Ça marche parce qu’à chaque tournée nous montons un spectacle différent. Du coup, nous avons toujours autant de plaisir à être sur scène.

Être une fratrie change-t-il votre rapport au collectif ?

Un vieux rocker – le chanteur des Satellites – m’a dit : « Il y a trois raisons de splitter : le sexe, la drogue et l’argent. » Entre frères et sœurs, nous n’allons pas nous piquer nos conjoint(e)s ; nous n’avons jamais touché à la drogue ; quant à l’argent, nous partageons tout. Ce qui fout la merde dans plein de groupes, c’est la Sacem. Elle est restée bloquée sur le concept de l’auteur-compositeur qui créé des chansons pour l’artiste qui fait des concerts et gagne plein d’argent en publicité. Les groupes d’aujourd’hui commencent dans des caves et galèrent des années jusqu’à ce qu’ils signent avec une maison de disques, et là, l’auteur-compositeur se retrouve payé cent fois plus que les autres. La Sacem devrait créer un pôle « groupes » : chaque membre gagnerait la même chose le temps où ils jouent ensemble. Moi, j’écris les textes et la mélodie des Ogres, mais nous déposons à quatre. Nous sommes tous compositeurs et interprètes.

Avez-vous conscience de renvoyer une image idyllique ? Ça a l’air simple…

Ça l’est ! Ce qui est compliqué, c’est de décider quel est le meilleur moment pour sortir un album ou faire une tournée. Comme nous sommes autoproduits, auto­distribués, etc., nous avons plus de travail que ceux qui signent avec une maison de disques. Nous nous réunissons régulièrement à dix autour d’une table, et chaque avis compte. Ça prend beaucoup de temps, mais nos décisions sont prises sereinement.

Comment parvenez-vous à maintenir des tarifs inférieurs à 30 euros ?

C’est un choix. Ce spectacle, par exemple, coûte 17 000 euros. Si, avec ce prix, un patron de salle nous propose des places à 30 euros, nous cherchons les économies possibles pour faire baisser à 25 euros. Nous sommes d’ailleurs plus souvent autour de 15 ou 20 euros. Pour un tel spectacle, nous ne devons pas mettre plus de 500 euros de côté, tout est dépensé. Il y a sept ou huit ans, nous gagnions 150 euros net par concert, aujourd’hui, on doit être à 180 euros. Un disque des Ogres paie le disque d’après et les gens qui travaillent dessus, mais pas nous, les quatre musiciens. Nous touchons des cachets d’enregistrement quand il y en a. Nous gagnons notre vie avec les concerts et les droits Sacem. Si demain nous ne vendons plus aucun disque, tant pis. Par contre, le jour où nous ne remplirons plus les salles, nous arrêterons.

Sur ce spectacle, décors, vidéo… Vous changez d’échelle ?

Nous avons repris un spectacle sous chapiteau avorté au festival Chalons dans la rue du fait de la grève des intermittents du spectacle en 2003. Nous l’avons adapté pour des grandes salles. Les décors ont été créés par les décorateurs du Royal de luxe. Un spectacle de cette dimension, avec un acrobate et la technicité de la vidéo, c’est une première.

Pourquoi êtes-vous autant traversés par le thème du voyage ?

Nous sommes beaucoup sur les routes. Voyager nous a redonné des espoirs que nous avions perdus, à cause du repli des gens et du sort que le gouvernement réserve aux immigrés et aux sans-papiers.

On vous dit engagés. Qu’en pensez-vous ?

Le plus grand engagement des Ogres, c’est l’indépendance. Nous n’avons jamais voulu écraser quiconque pour être numéro 1 ou faire du fric au détriment de gens qui ne pourraient pas s’offrir un disque ou une place de concert. Notre carrière, c’est : des concerts et des disques accessibles, une attention au monde et rester très raisonnables sur nos salaires et notre train de vie.

Vous avez créé le label Irfan pour vous produire et soutenir d’autres groupes. C’est important, la transmission ?

Au départ, nous n’avions pas forcément envie d’ouvrir notre label parce que notre économie est très organisée et fragile. Mais, tous les soirs, des groupes venaient nous demander un coup de main. Notre solution : distribuer et ne pas produire. Les groupes arrivent avec leur disque fini ; comme ça, nous n’avons pas d’autre intérêt que de leur rendre service.

Vous arrivez à mettre en adéquation ce que vous chantez et votre mode de vie ?

Ce n’est pas si dur… Mais ce ne serait pas possible sans les gens qui nous suivent et nous disent de ne pas lâcher.

Musique
Temps de lecture : 6 minutes