Poutine : victoire xénophobe

Après l’exploitation par Vladimir Poutine du sentiment nationaliste et raciste qui anime une partie de la population russe à l’égard des Caucasiens, son parti, Russie unie, a gagné les élections législatives.

Claude-Marie Vadrot  • 8 décembre 2011 abonné·es

Tous les résultats ne sont pas encore connus en provenance des républiques autonomes du Caucase et des circonscriptions les plus isolées d’un pays qui ne compte pas moins de dix fuseaux horaires. La victoire aux élections législatives du parti – presque unique – de Vladimir Poutine, qui règne depuis onze ans sur la Russie, n’en est pas moins acquise. Victoire partagée avec ses partis satellites, qui se présentent faussement comme des opposants. Le souverain formé dans le communisme, qui obtiendra probablement au printemps prochain sa réélection pour six ans, a compris qu’il fallait partager l’autoritarisme, ce qu’il fait d’ailleurs avec le Parti communiste, qui conserve la deuxième place dans le pays, mais si loin derrière.

Depuis que l’ancien colonel du KGB a arraché le pouvoir des mains d’un Boris Eltsine vieillissant, au régime miné par une corruption galopante, celle-ci a simplement changé de bénéficiaires. Ce sont désormais les barons de Vladimir Poutine, le plus souvent d’anciens hiérarques de la « bande de Saint-Pétersbourg » et des services secrets. Le KGB a simplement été remplacé par le FSB.

Les méthodes sont les mêmes mais servent désormais le néolibéralisme qui a gagné la Russie, transformant cet immense pays en rentier ne vivant que des revenus de son sous-sol pétrolier ou minier. La Russie perd régulièrement des habitants, au point que sa population, actuellement sous la barre des 142 millions d’habitants [^2], selon les Nations unies, risque de descendre à 130 millions dans une vingtaine d’années.

La campagne électorale s’est déroulée sur fond de nationalisme et de racisme contre les « culs noirs » du Caucase, comme les surnomment les Russes depuis les guerres de Tchétchénie. Elle a culminé le 4 novembre par une manifestation nationaliste de 25 000 personnes dans un quartier de Moscou. Malgré les outrances de la foule en colère, les forces de l’ordre sont demeurées passives. Défilant en criant « la Russie aux Russes » , les manifestants, conduits par le jeune avocat Alexis Nalvani, ont protesté contre la mainmise des « étrangers » , contre la corruption et pour le retour à la « Sainte Russie » . Des militants jeunes le plus souvent, subissant parfois l’influence de prêtres ultra­orthodoxes, ont bruyamment réclamé le jugement des corrompus, parfois même de Vladimir Poutine.

Vladimir Poutine a remporté la majorité absolue aux législatives dimanche 4 novembre (50,1 %, soit 238 sièges sur 450). Son parti, Russie unie, recule de 14,2 points par rapport à 2007 et voit le Parti communiste de la Fédération russe (KPRF) grimper à 19,49 % (deux fois mieux qu’en 2007), tandis que l’abstention atteint 49,6 %.

L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe a relevé « des ingérences illégitimes de l’État à tous les niveaux de la vie politique, le manque de conditions nécessaires pour une compétition juste et l’absence d’indépendance des médias » . Des stylos dont l’encre disparaît jusqu’au bourrage d’urnes, en passant par les cyberattaques contre des ONG ou des médias indépendants : le régime de Poutine semble avoir été « totalitairement » imaginatif.

Mickaël Guiho

Tous les observateurs présents dans le cortège ont noté la violence des banderoles, des pancartes, des déclarations des participants et des tracts distribués par les organisateurs, allant jusqu’à réclamer la pendaison de ceux qui « vendent le pays aux étrangers », en plus du retour à la vraie foi, de l’interdiction de la pornographie et des musiques corruptrices des mœurs vendues par l’Occident pour affaiblir la morale de la nation.

« J’en ai frissonné, raconte un journaliste de la Novaïa Gazeta [[ Bihebdomadaire moscovite
pour lequel travaillait Anna Politkovskaïa.]], seul vrai journal d’opposition. Ces gens, pour la première fois, m’ont fait vraiment peur. Ils représentent la face la plus noire de notre population, celle dont les références sont puisées dans la Russie du XIXe siècle, celle qui a approuvé les premiers pogroms contre les Juifs à partir de 1881 et pourchasse les Caucasiens sur les étals des marchés.

Les Russes sont toujours enclins à l’antisémitisme, mais leur haine de l’autre est maintenant dirigée vers les Caucasiens. Le Russe moyen est plus que jamais xénophobe, comme l’a noté l’ONG russe Sova, qui a relevé 84 meurtres racistes en 2009, 37 en 2010, et 20 morts et 109 blessés graves pour les mêmes motifs depuis le début de l’année. » De surcroît, les responsables de cette organisation ne sont pas toujours en mesure de répertorier toutes les victimes de racisme en province.

Comme dans une cinquantaine de villes où des manifestations semblables étaient organisées, les protestataires de la vieille droite religieuse russe s’en prennent ainsi aux habitants des nombreuses républiques du Caucase qui font partie de la Fédération de Russie. Ils réclament l’ « expulsion » des Tchétchènes, des Ingouches, des Ossètes, en passant par les Balkars ou les Tcherkesses, autant de peuples conquis par l’armée impériale russe au XIXe siècle.

Poutine laisse faire, espérant pêcher des voix au sein de cette extrême droite. Le gouvernement russe prend d’ailleurs un malin plaisir, comme pour mieux entretenir cette phobie des Caucasiens, à rappeler sans cesse le nombre grandissant des meurtres et des attentats survenant dans les républiques autonomes du sud du pays. Au mois d’octobre, au cours d’une conférence de presse, le secrétaire général du Conseil de sécurité russe, Nikolaï Patroutchev, a fait état de « 335 crimes à caractère terroriste commis depuis le début de l’année » . Quelques jours plus tard, Alexandre Khloponine, le représentant du président de la Fédération de Russie dans le Caucase, expliquait à la télévision russe : « Nous connaissons les noms de tous les bandits et de leurs chefs. Ces groupes terroristes sont financés principalement par le racket qu’ils pratiquent à l’encontre des entrepreneurs locaux : 10 % de leurs fonds proviennent de l’étranger, 90 % sont obtenus à l’intérieur de la Russie. Ces bandits n’ont plus besoin de faire appel à des organisations terroristes comme Al-Qaïda. Il leur suffit de rançonner les hommes d’affaires. »

Alexandre Khloponine omet de dire que les meurtres et les attentats, encore plus fréquents qu’il ne l’avoue, visent essentiellement des policiers, des fonctionnaires et des responsables nommés ou protégés par les autorités de Moscou. Cela signifie clairement que la révolte tchétchène, qui se poursuit en Tchétchénie en dépit des efforts du jeune dictateur Ramzam Kadyrov, nommé en 2007 par Poutine, a largement débordé dans toutes les républiques russes du Caucase. En renforçant à dessein l’atmosphère raciste et nationaliste de la campagne électorale, Poutine a masqué ses responsabilités et préparé sa réélection.

[^2]: 148,5 millions en 1991.

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