« De nouvelles alliances à construire »

Seuls des mouvements sociaux très forts et davantage de fédéralisme pourraient créer une Europe démocratique et sociale.

Michel Soudais  • 1 mars 2012 abonné·es

Dénoncés par la Confédération européenne des syndicats, le Traité sur la stabilité, la convergence et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire (TSCG) ainsi que son complément, le Mécanisme européen de stabilité (MES), sont également très critiqués par Attac. L’association altermondialiste y voit un véritable krach démocratique qui enferme l’Europe dans un cercle vicieux et destructeur.

Ces deux traités constituent-ils une réponse à la crise ?

Aurélie Trouvé : La dépendance vis-à-vis des marchés et de la finance est confortée : un État qui ne pourra plus emprunter auprès des marchés financiers devra le faire auprès du MES et ne pourra toujours pas se financer auprès de la BCE. En outre, la situation empire : les dispositions autour de la règle d’or permettent de poursuivre devant la Cour de justice européenne tout État membre qui ne remplit pas les objectifs du Pacte de stabilité et de croissance ou la règle du déficit structurel de 0,5 %. Or, quasiment aucun pays ne répond à ces deux conditions imposées pour ne pas être redevable d’une amende pouvant aller jusqu’à 0,1 % du PIB.

Depuis le traité de Maastricht, nous avions perdu l’outil monétaire ; là, nous perdons la maîtrise de la politique budgétaire. Cela revient à couper les deux bras d’une politique économique. On « constitutionnalise » la poursuite d’une politique libérale orthodoxe. Comme l’explique le prix Nobel d’économie Paul Krugman, il s’agit d’une politique masochiste et absurde qui nous empêche de répondre à la crise économique.

L’Europe permet-elle de protéger notre industrie et nos emplois du dumping social ?

La question n’est pas de se protéger du reste du monde, mais de protéger l’Europe vis-à-vis d’elle-même. Ceux qui font le plus de concurrence aux pays européens sont européens. Depuis le début des années 2000, l’Allemagne a entrepris un dumping social et fiscal extrêmement dur. Avec un groupe de pays ­néomercantiles, elle a imposé une concurrence à l’intérieur de l’Europe qui vise à transférer les richesses des salariés, des retraités et des chômeurs vers les détenteurs de capitaux. Les plans d’austérité que l’on nous impose mettent en œuvre ce que Naomi Klein appelle « la stratégie du choc ». Dans le monde, l’Europe est l’un des artisans les plus actifs du capitalisme néolibéral. Les États-Unis ont continué à développer de gros investissements publics. Le Brésil a mis en place des régulations sur ses marchés financiers. Mais nous restons sur une trajectoire visant à mettre en place un espace de libre-échange sans aucune politique sociale ou fiscale.

Peut-on encore mener des politiques progressistes en respectant les traités européens ?

S’il fallait respecter les traités à la lettre, nous aurions une politique extrêmement réduite sur le plan social, environnemental et économique. En même temps, on a vu avec la crise de 2008 que les États pouvaient très bien, quand ils le veulent, piétiner les règles européennes : aides massives aux entreprises, rachat d’obligations publiques par la BCE… Les règles européennes sont une bonne excuse pour ne pas agir. Dire que l’on doit absolument respecter la législation européenne, comme beaucoup de politiques français le soutiennent, c’est se mettre dans le carcan européen, et manquer de courage.

N’est-ce qu’une question de courage ? Il faudrait convaincre beaucoup de pays, 26 aujourd’hui.

La question est de savoir s’il faut continuer une Europe à 27. Si on avait un gouvernement réellement progressiste, de gauche, courageux, on pourrait tout à fait envisager de lancer l’idée d’une coopération renforcée, politique, économique, environnementale, sociale, sur la base de grandes idées fortes qui viseraient à refonder les traités pour asseoir une Europe solidaire, démocratique, écologique. A minima il faudrait le faire au niveau de la zone euro. C’est un chemin étroit entre le souverainisme national et le fédéralisme européen, mais c’est le seul possible. Il faut que l’Europe repense ses frontières en fonction des pays qui veulent une Europe démocratique et sociale.

Une majorité de gauche en France pourrait-elle trouver des alliés dans les autres pays européens ?

Les plans d’austérité peuvent donner le pire comme le meilleur. Soit on va exciter les nationalismes de tout poil, soit on va être capable de construire un vrai rapport de force social au niveau européen. Il ne peut pas y avoir de changement politique sans des mouvements sociaux très forts. En Grèce, ceux-ci sont en train de se mobiliser, et une vraie gauche est aussi en train de se construire. Le mouvement des Indignés a fait aussi bouger les choses et poussé un grand nombre de forces à s’interroger sur leur positionnement. Des comités d’audit de la dette émergent.
Il y a des alliances à construire complètement nouvelles. Nous avons un besoin impérieux de reconstruire un mouvement social européen, dont nous avons vu les prémices au moment du TCE ou de la directive Bolkestein. Cela implique de repenser les coordinations et résistances européennes.

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