La France s’accroche à ses centrales

Au pays du tout-nucléaire, l’accident de Fukushima a quand même réussi à provoquer un débat. Mais la possibilité d’une sortie du nucléaire demeure taboue.

Patrick Piro  • 1 mars 2012 abonné·es

En octobre dernier, Eva Joly s’était rendue dans la zone de Fukushima pour témoigner de la catastrophe humaine et écologique en cours. Il y a dix jours, Éric Besson, qui a poussé jusqu’à la centrale, en est revenu « globalement rassuré »  : la radioactivité n’est pas très forte, et l’on ne déplore que deux morts (par noyade, pendant le tsunami), explique-t-il – foi de l’opérateur Tepco. Le ministre de l’Industrie était venu délivrer aux techniciens un message plein de suffisance : « Nous comptons sur vous pour redonner vie à ce secteur. » Tout un symbole : ce n’est pas l’accident qui impose des leçons à la France pour l’avenir du nucléaire, c’est l’envoyé du candidat Sarkozy qui redonne le cap au Japon après l’échec.

Au-delà des parades de campagne présidentielle, Fukushima a bouleversé un ordre nucléaire établi en France, depuis le lancement en 1974 par le gouvernement Messmer du plus considérable programme de construction de centrales au monde. Alors que le consensus régnait à droite comme à gauche au sein des partis dominants et même au-delà (seuls les écologistes contestent la filière depuis le départ), l’accident japonais a provoqué une rupture politique : l’avenir du nucléaire fait désormais débat au sein du Parti socialiste alors qu’il était jusque-là éludé. Le bras de fer de l’accord électoral entre EELV et PS, en novembre dernier, a provoqué un tintamarre d’outrances de la part des pronucléaires, redoutant que les socialistes ne cèdent à l’injonction écolo d’engager une sortie du nucléaire.
En janvier dernier, deux rapports, très attendus, devaient mettre un peu clarté dans les esprits : l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur les « tests post-Fukushima » commandés aux centrales françaises ; et la mise à jour, par la Cour des comptes, des coûts de la filière nucléaire. Mais les deux documents permettent des conclusions parfaitement ambivalentes, ce que chaque camp, pro et anti, ne s’est pas privé d’exploiter.

L’ASN, tout en admettant qu’un scénario Fukushima n’est pas à exclure en France, conclut qu’aucune centrale ne mérite d’être fermée pour défaut de sûreté, et liste, à l’attention d’EDF, une série de travaux à effectuer pour en accroître la robustesse : le gouvernement y voit l’industrie nucléaire nationale confortée dans son excellence, et soutient pleinement EDF, qui pense s’en tirer pour environ 10 milliards d’euros d’investissements, à ajouter aux 50 milliards prévus pour prolonger la vie du parc au moins jusqu’à 40 ans de service. Un choix présenté comme naturel – autant rentabiliser les investissements de sûreté post-Fukushima !

Le rapport de la Cour des comptes est également exploité par EDF, notamment lorsqu’il montre que le renouvellement du parc par des réacteurs EPR de nouvelle génération serait financièrement beaucoup plus lourd que la prolongation des vieilles centrales au-delà de 40 ans… La Cour des comptes n’ayant pas été chargée d’évaluer le coût des filières alternatives, elle n’a pas d’autre point de comparaison à verser au débat que « nucléaire vieux » contre « nucléaire neuf ». Le rapport réévalue pourtant à la hausse le coût de production du mégawattheure : à raison de 50 euros, il est plus cher de 20 % que la valeur actuellement considérée, ce qui rapprocherait l’éolien de la compétitivité avec le nucléaire.

Au bout du compte, l’opacité maintenue en France sur le nucléaire pendant des décennies débouche sur un piège, que l’accident de Fukushima semble paradoxalement renforcer : prolonger les centrales apparaît comme du bon sens ! Résultat : alors que Sarkozy joue à fond sur la corde de la confiance industrielle et du patriotisme nucléaire, Hollande ne s’en démarque que par son intention de fermer rapidement la centrale de Fessenheim, qui atteint 35 ans de service. Et uniquement celle-ci lors de la prochaine mandature (contrairement à l’accord PS-EELV). Les options pour la suite restent actuellement en suspens : pas question pour le candidat socialiste de s’exposer davantage alors que la campagne présidentielle s’est durcie. Son absence de choix à long terme ne risque-t-elle pas d’ouvrir la voie à un « inéluctable » nouveau programme nucléaire faisant suite, dans deux décennies, à « l’incontournable » prolongation du parc actuel ?

Lors d’une conférence organisée le 14 février par Enerpresse, média spécialiste de l’énergie, François Brottes, son conseiller énergie, ébauchait cependant une issue : l’engagement d’un fort programme d’économies d’énergie et de développement des renouvelables, qui redonnerait, vers 2025, des marges de manœuvre politique. Pour faire quoi ? Motus… « Ce n’est pas à l’ASN de dicter la trajectoire énergétique du pays » , s’est-il contenté d’affirmer.

Écologie
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