Politique culturelle : « Un processus malthusien »

La culture est précarisée comme jamais. Explications de Jean Joël Le Chapelain, membre du Syndicat national des entreprises artistiques
et culturelles (Syndéac).

Christophe Kantcheff  • 8 mars 2012 abonné·es

Illustration - Politique culturelle : « Un processus malthusien »

En pleine campagne électorale, les milieux de la culture se mobilisent. Parent pauvre d’un quinquennat occupé à autre chose, la culture voit ses moyens régulièrement rognés. Le 24 février, plusieurs fédérations professionnelles (Syndéac, Cipac, Profedim, CGT du spectacle…) ont manifesté dans toute la France devant les directions régionales des affaires culturelles (Drac). Le 19 mars à 19 heures, au théâtre du Rond-Point à Paris, une réunion aura lieu avec les différents candidats à la présidentielle ou leurs représentants pour les interpeller.

Le 5 mars, les responsables des 15 scènes nationales et centres dramatiques nationaux d’Île-de-France ont rendu public un document alertant sur le fait que ces théâtres ont perdu 6 millions d’euros en sept ans « par le seul mécanisme de l’inflation sur les subventions de fonctionnement de l’État » .

Quel a été l’élément déclencheur
des mobilisations du 24 février ?

Jean Joël Le Chapelain : Depuis 2007, le spectacle vivant avait obtenu la levée du « gel » concernant le budget de la culture. Or, malgré l’engagement du président de la République, ce n’est pas le cas en 2012 – le gel représentera 6 % des subventions versées aux compagnies et aux structures. Le 24 février, nous avons réclamé le « dégel », mais aussi le retrait du collectif budgétaire qui touche les crédits d’action culturelle, le retour à la TVA à 5,5 %, la levée des mandats de révision, et une loi d’orientation sur le spectacle vivant avec un plan de développement de 300 millions d’euros.

Que sont les mandats de révision ?

Un dispositif de l’État qui permet de reprendre aux Drac une partie des dotations qui leur ont été allouées dans un souci de rééquilibrage. Le problème est que ce redéploiement des moyens vise surtout à faire des économies. Par exemple, en Île-de-France (qui est touchée pour 1,35 million d’euros sur trois ans), la fusion du Tarmac et du Théâtre de l’Est parisien a entraîné une réduction de financement de 500 000 euros, dont la Drac Île-de-France ne dispose plus pour des aides aux artistes.

Pourquoi un plan de relance pour
le spectacle vivant ?

Ce plan de développement de 300 millions d’euros est indispensable pour sauvegarder le secteur afin de compenser les niveaux des financements qui diminuent. Eu égard au budget national, celui de la culture est ­tendanciellement à la baisse, contrairement à ce qu’annonce le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand. D’autant que les crédits culturels des collectivités locales, tout aussi déterminants, sont aujourd’hui malmenés – la suppression de la taxe professionnelle, par exemple, a enlevé des ressources aux départements, qui sont ensuite amenés à faire des choix dont la culture est trop souvent la victime.

Jusqu’à présent, les pouvoirs publics opposent une fin de non-recevoir à notre revendication de plan de relance. Or, que représentent 300 millions face aux 3 milliards accordés aux restaurateurs avec la baisse de la TVA ? Il ne s’agit pas de dresser les corporations les unes contre les autres, mais on ne peut pas ne pas faire ce rapprochement.

Comment expliquez-vous que le ministre de la Culture prétende que son budget est en constante hausse ?

Seule une explication très technique pourrait apporter une réponse précise. À lire la présentation que donne le ministre de son budget, il est très difficile de s’y retrouver. D’année en année, les paramètres changent, les comparaisons sont difficiles à faire. Des opérations techniques sont effectuées afin de présenter ces cinq dernières années comme très positives pour la culture. Ce n’est pas la réalité.

Concrètement, de quelle manière se traduit cette baisse des crédits ?

De plus en plus d’artistes se retrouvent très précarisés, voire au RSA, parce qu’ils éprouvent de grandes difficultés à exercer leur métier justement rémunéré. L’emploi diminue par un ­garrottage progressif des ­financements. C’est un processus malthusien qui réduit le nombre et les ambitions des productions, l’emploi et les projets… Cela conduit à ce que des artistes travaillent dans des conditions moins professionnelles, avec des répétitions non payées, par exemple.

Que dire, cinq ans après la lettre de mission adressée à Christine Albanel, la ministre de la Culture de l’époque, par Nicolas Sarkozy, de la démocratisation culturelle appelée de ses vœux ?

Dans les faits, les moyens consacrés à l’action culturelle, via les Drac, ont été réduits. Ces budgets ont été les premiers touchés. Dans le discours, la référence à une « culture pour chacun » modifie la logique de la décentralisation en voulant privilégier le rôle du public sur les choix artistiques des établissements subventionnés pour définir les financements aux institutions. Si le financement public ne devait aller qu’à des projets grand public, alors tout ce qui concerne la recherche et le travail d’innovation – qui au départ n’est pas forcément populaire – se verrait marginalisé, voire supprimé.

Nous demandons au contraire à ce que l’ambition artistique soit retrouvée, pour que la culture, qui permet une émancipation des citoyens, une ouverture au monde et aux arts, puisse exister avec le soutien de la puissance publique.
Ce débat va au-delà de la culture ; il porte sur les choix de société à énoncer et à conduire par le pouvoir qui sortira prochainement des urnes.

Que pensez-vous de la place octroyée
à la culture dans la campagne
pour l’élection présidentielle ?

Pas très importante, et c’est une litote ! On n’a pas le sentiment que ce soit un axe prioritaire retenu par les candidats, quels qu’ils soient. Il y a une focalisation sur la loi Hadopi, qui est certes un véritable débat ; il est sans aucun doute nécessaire de revoir la loi qui a instauré ce dispositif, mais la culture numérique ne résume pas toute la culture. Le spectacle vivant comme le patrimoine, le livre ou les arts plastiques méritent vraiment d’être pris sérieusement en considération.

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