Sarkozy-Kadhafi : l’étau se resserre

Les révélations de Mediapart confirment les soupçons de financement occulte, par la Libye, de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Ce que l’on sait à l’heure actuelle.

Erwan Manac'h  • 30 avril 2012
Partager :
Sarkozy-Kadhafi : l’étau se resserre

C’est un coup de tonnerre dans le ciel, déjà nuageux, de la sarkozie. Samedi 28 avril, Médiapart a rendu publique une note interne de l’administration libyenne qui officialise son «  accord de principe » pour le versement de 50 millions d’euros en soutien à Nicolas Sarkozy pour sa campagne de 2007. Ce document prouverait un transfert de fonds qu’une série de révélations, depuis un an, faisaient soupçonner. Rappel :

« Nous sommes prêts à tout révéler »

-Les premières déclarations évoquant un financement illégal viennent du clan Kadhafi. Le 16 mars 2011, alors que la France mène les pressions internationales sur le régime qui réprime dans le sang l’insurrection populaire, le fils du dictateur libyen, Saïf al Islam, affirme à Euronews que la Libye avait financé la campagne de Nicolas Sarkozy :

« Que ce clown rende l’argent qu’il a accepté de la Libye, s’insurgeait le fils du dictateur. Nous avons financé sa campagne et nous en avons les preuves, nous sommes prêts à tout révéler. »

Réconciliation spectaculaire avec le régime Libyen

Ziad Takieddine - AFP / Thomas Samson

Le 10 juillet 2011, Mediapart publie le contenu des archives personnelles de Ziad Takieddine, intermédiaire financier ayant fait fortune dans les ventes d’armes, mis en examen à trois reprises sur un éventuel financement illicite de la campagne d’Édouard Balladur en 1995 (volet financier de l’affaire Karachi). L’homme d’affaires franco-libanais est un proche de Mouammar Kadhafi. Ses notes personnelles ont été remises par son ex-épouse à la justice.

Durant tout l’été 2011, Médiapart publie ces pièces personnelles qui démontrent que Nicolas Sarkozy et son premier cercle entretiennent des relations poussées avec M. Takieddine et que ce dernier a facilité une réconciliation spectaculaire avec le régime Libyen sur fond de gros contrats.

« Je peux tous les faire tomber !»

-Quelques mois plus tôt, le 6 mars 2011, Ziad Takieddine avait été interpellé à l’aéroport du Bourget dans un jet privé affrété par Tripoli en provenance de Libye, avec 1,5 million d’euros en liquide dans ses valises. Au terme de sa garde à vue, le marchand d’armes confirmait avoir rencontré M. Kadhafi, mais il justifiait la valise pleine de liquide par un douteux «transfert entre sociétés commerciales» . Sa présence en Libye, expliquait-il alors, visait à accompagner deux journalistes du JDD, venus interviewer M. Kadhafi grâce à son intermède.

Selon ** Médiapart , Ziad Takieddine, qui ne décolérait pas d’être passé par la garde à vue, avait menacé de «faire sauter le gouvernement» lors d’une conversation téléphonique avec son ami Thierry Gaubert, qui est aussi un ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy.

  • Le 11 octobre 2011, interrogé par les journalistes de Complément d’enquête , qui le filment en caméra caché, Ziad Takieddine déclare :  « Je les tiens tous dans ma main ! Je peux tous les faire tomber !» .

« Modalités fin campagne NS réglées »

  • Le 12 mars 2012, Mediapart publie les confessions de l’ancien médecin de Ziad Takieddine, le neurochirurgien Didier Grosskopf, « qui l’a accompagné à plusieurs reprises en Libye, pour y soigner des membres de la famille Kadhafi » , selon le site d’information[^2].

Dans ce témoignage recueilli en langage codé par Jean-Charles Brisard, ancien membre de l’équipe de campagne d’Edouard Balladur, en 1995, le médecin évoque la visite en Libye de Nicolas Sarkozy, en octobre 2005, alors qu’il était encore ministre de l’Intérieur. À l’époque, il avait justifié sa visite par la lutte contre l’immigration clandestine d’origine subsaharienne.

Dans un langage facilement déchiffrable, Jean-Charles Brisard note dans ce document les confessions de Didier Grosskopf :

« MODALITES FIN CAMPAGNE NS REGLEES LORS DE LA VISITE LIBYE NS + BH 06.10.2005 »

Pour la première fois, la somme de 50 millions d’euros est évoquée. Les initiales de « BH » sont associées à ces soupçons de financement occulte alors que Brice Hortefeux a confirmé qu’il était présent en octobre 2005 aux côtés de Nicolas Sarkozy lors de sa visite en Libye. Le bras droit de Nicolas Sarkozy était alors… ministre des Collectivités territoriales.

Tripoli, 06 octobre 2005, Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur est reçu par Mouammar Kadhafi - AFP / Osama Ibrahim

  • 28 avril 2012, Médiapart publie une note de l’administration libyenne, rédigée en arabe par un haut dignitaire du régime, que le site d’information dit avoir reçu « ces tout derniers jours » de la part « d’anciens hauts responsables » libyens « aujourd’hui dans la clandestinité » . Cette note établit noir sur blanc un « accord de principe » pour « appuyer la campagne électorale du candidat aux élections présidentielles, M. Nicolas Sarkozy, pour un montant d’un valeur de 50 millions d’euros. »

  • 3 mai 2012 , Baghdadi Ali al-Mahmoudi, ancien premier ministre libyen [^3] incarcéré en Tunisie confirme à Médiapart « qu’un financement a bien été reçu par M. Sarkozy. » Il affirme aussi, par l’intermédiaire de l’un de ses avocats Me Béchir Essid, que le document publié 5 jours plus tôt par le site d’information n’est pas un faux :

    « Nous avons participé à la réussite de M. Sarkozy et au financement de sa campagne présidentielle de 2007. (…) Le montant de 50 millions d’euros est juste, transmet l’avocat. [Mon client] ne comprend pas la rancune de M. Sarkozy et son acharnement à être l’un des principaux artisans de l’attaque du pays qui l’a financé. »


  • Mise à jour, jeudi 3 mai : ajout des déclarations de Baghdadi Ali al-Mahmoudi, recueillies par Mediapart.

[^2]: Une «  note de synthèse » rédigé par Jean-Charles Brisard, ancien membre de l’équipe de campagne d’Edouard Balladur, en 1995, a été versée au dossier d’instruction de l’affaire Takieddine.

[^3]: Son titre exact était « secrétaire général du Comité populaire général »

Politique
Temps de lecture : 5 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

« Développer toutes les mutineries contre la classe dominante »
Entretien 17 avril 2024 abonné·es

« Développer toutes les mutineries contre la classe dominante »

Peter Mertens, député et secrétaire général du Parti du travail de Belgique, publie Mutinerie. Il appelle à multiplier les mobilisations contre l’Europe néolibérale et austéritaire sur tout le Vieux Continent.
Par Olivier Doubre
« Les Écolos, c’est comme les pirates dans Astérix qui se sabordent eux-mêmes » 
Politique 12 avril 2024 abonné·es

« Les Écolos, c’est comme les pirates dans Astérix qui se sabordent eux-mêmes » 

À la peine dans les sondages pour les élections européennes, avec une campagne qui patine, le parti écologiste se déchire sur fond d’affaire Julien Bayou. La secrétaire nationale, Marine Tondelier, tente d’éteindre le démon de la division.
Par Nils Wilcke
« Il est presque sûr que des eurodéputés RN ont reçu de grosses sommes de la Russie »
Entretien 11 avril 2024 abonné·es

« Il est presque sûr que des eurodéputés RN ont reçu de grosses sommes de la Russie »

À deux mois des élections européennes, l’ONG internationale Avaaz part en campagne contre le parti de Jordan Bardella et Marine Le Pen dont les sulfureux liens internationaux sont inquiétants.
Par Michel Soudais
« La gauche de demain doit être soucieuse d’un rassemblement démocratique »
Entretien 10 avril 2024 libéré

« La gauche de demain doit être soucieuse d’un rassemblement démocratique »

Le professeur de science politique Philippe Marlière est coauteur d’un court ouvrage étrillant la classe politique française et interpellant six personnalités (dont Hollande, Macron, Mélenchon). Pour lui, la gauche doit se repenser si elle souhaite devenir majoritaire.
Par Lucas Sarafian