Grèce : élection sous pression

Le parti de la gauche radicale Syriza est le favori du scrutin de dimanche, sur fond d’austérité sans fin. Correspondance d’Athènes, Amélie Poinssot.

Amélie Poinssot  • 14 juin 2012 abonné·es

Vote ou référendum ? La nouvelle campagne électorale grecque aura été dominée par la question du maintien ou non du pays dans la zone euro. Problématique largement imposée par Bruxelles et les dirigeants européens, puis relayée en Grèce par de nombreux médias, bien que personne, parmi les élus du 6 mai dernier, ne prône en réalité une sortie de l’Union européenne ou de la zone euro, à l’exception du Parti communiste (KKE) et du parti néonazi Aube dorée. En dépit du résultat du premier scrutin, qui a révélé le rejet net et massif, au sein de la population, des cures d’austérité à répétition, les partenaires européens de la Grèce veulent maintenir le cap : ils conditionnent les prochains versements des prêts accordés à la Grèce à la poursuite des réformes et comptent pour cela persévérer dans leur dialogue avec leurs interlocuteurs du précédent gouvernement. Problème, ceux-ci, dont les socialistes du Pasok, se sont effondrés le 6 mai et n’ont aucune chance de remonter la pente dans l’immédiat.

Mais Bruxelles ne fait aucune confiance au Parti de la gauche radicale Syriza, qui a recueilli un score de 16,78 %, et a encore progressé dans les sondages depuis. Le programme de Syriza n’a certes rien de rassurant pour Bruxelles, puisqu’il a pour objectif de remettre à plat les mémorandums, ces deux cures d’austérité votées en mai 2010 puis en février dernier. Décision qui entraînerait l’arrêt du versement des prêts accordés au pays. Si l’État grec n’entre pas en possession de cet argent, il ne pourra faire face aux obligations arrivant à échéance, se trouvant donc en défaut de paiement. Les Cassandre estiment que le pays pourrait alors être exclu de la zone euro. Pierre Moscovici l’a lui-même rappelé au début du mois : « La question d’une sortie de la Grèce de la zone euro se posera sans doute si le pays revient sur ses engagements à l’issue du scrutin. » Quand ce ne sont pas les gouvernements nationaux qui se mêlent des élections grecques, ce sont les marchés financiers : l’agence de notation Standard & Poor’s a indiqué qu’il y a « au moins une chance sur trois » pour qu’Athènes ne fasse plus partie de la zone euro.

Pour les Grecs, cette question, dans le fond, n’a pas de sens : ils sont une écrasante majorité à rester attachés à la monnaie unique. Nulle envie de revenir à la drachme ! Ils ne sont pas non plus opposés aux notions de réforme et d’effort : depuis plus de deux ans, les classes moyennes ont pris conscience des abus dont elles ont pu, parfois, profiter dans le passé et de la nécessité de revoir leur mode de vie ; elles ont fait preuve d’une grande capacité d’adaptation. Mais elles ont aussi subi une avalanche de mesures socialement injustes prises en un temps record, sans précédent en Europe occidentale… Quelle que soit la société que l’on veut réformer, vouloir la changer en profondeur en l’espace de deux ans est impossible, car la population est littéralement acculée. C’est ce qui s’est passé le 6 mai dernier. Si le vote du 6 mai était inspiré par la colère, le vote du 17 juin s’annonce comme celui de la peur, prédisent plusieurs commentateurs. Ces dernières semaines, le parti néonazi Aube dorée a montré son vrai visage, usant de violences contre les immigrés, agressant des candidats de la gauche grecque sur un plateau de télé. Cet épisode a suscité l’indignation générale et pourrait provoquer un recentrage sur les principaux partis, Syriza compris. Selon les derniers sondages, la gauche radicale oscille entre 22 et 31,5 % des voix tandis que la droite de Nouvelle Démocratie se situerait entre 23,4 à 27,6 %.

L’électorat se révèle plus préoccupé par l’austérité que par l’euro, si bien que le positionnement clairement antimémorandum de Syriza apparaît séduisant. Selon Vassiliki Georgiadou, chercheuse en sciences politiques à l’université de Panteio, à Athènes, cette progression de la gauche radicale ne doit pas être regardée avec crainte : « Une chose est d’être dans l’opposition, un autre est de participer à un gouvernement… Syriza pense de plus en plus en termes de gouvernance, estime-t-elle. C’est d’ailleurs l’une des questions qui s’est retrouvée au centre de la campagne : Syriza est-il en mesure de gouverner ou pas ? Discussion intéressante qui a poussé Syriza à mettre de côté ses positions les plus extrêmes. » De toute façon, aucun parti ne défend plus l’application stricto sensu du mémorandum, dont les réformes prévues sont de toute façon bloquées depuis deux mois, campagnes électorales obligent. D’où ce paradoxe : la presse européenne diabolise Syriza alors que le Pasok et Nouvelle Démocratie veulent eux aussi renégocier les mesures. Le plus inquiétant au regard du sauvetage financier du pays est la possible instabilité politique qui risque de se dégager du nouveau scrutin. Pas plus que le 6 mai dernier, un parti ne disposera de la majorité absolue…

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