Le Nord, la nouvelle ligne de Front

Trois candidats Front de gauche sont en bonne place dans le Pas-de-Calais. Un département stratégique pour le mouvement.

Pauline Graulle  • 7 juin 2012 abonné·es

Une petite rue piétonne aux bâtisses en brique rouge. Quelques étals de légumes et de volailles. Le marché de Noyelles-Godault, ce matin, est désert. Sous le ciel chargé de nuages, on compte plus de journalistes que de passants. « Je n’ai jamais vu un marché pareil », souffle Jean-Luc Mélenchon entre deux échanges avec des commerçants peu loquaces. Un petit noir au zinc de l’unique bar du coin, tenu par un ancien de Metaleurop (l’usine, qui employait 700 personnes, a fermé en 2003), puis retour au pas de course dans sa berline. Direction l’usine Hardi-Evrard de Beaurainville pour rencontrer les ouvriers, Étaples pour un déjeuner avec des représentants syndicaux, et Calais, enfin, où Mélenchon tiendra meeting le soir devant les ouvriers de SeaFrance… Après avoir sillonné la France pour la présidentielle, le candidat laboure le Pas-de-Calais pour les législatives.

Depuis l’annonce de sa candidature, le 12 mai, il arpente chaque semaine le marché d’Hénin-Beaumont, visite les quartiers populaires de Noyelles-Godault, enchaîne le porte-à-porte à Courcelles-lès-Lens… Au four et au moulin, il multiplie ses apparitions dans les circonscriptions alentour pour donner un « coup de main » à ses « petits camarades » du Front de gauche, eux aussi candidats à la députation.

En tout, ils sont trois dans le département à avoir une chance de l’emporter. Jacky Hénin, eurodéputé et ancien maire communiste de Calais, connu de tous pour sa forte personnalité, peut compter sur ses réseaux locaux pour défier le PS dans la 7e circonscription. Bruno Troni, préparateur en pharmacie, petit-fils de mineur immigré italien et maire PCF de Billy-Montigny (8 000 habitants), bénéficie du redécoupage électoral de la 3e circonscription, qui pourrait faire pencher la balance en sa faveur face au maire socialiste de Lens. Quant à Jean-Luc Mélenchon, que les sondages donnent gagnant, il veut sa revanche sur la présidentielle, promettant une « bataille homérique » face à « la Le Pen » dans la 11e. C’est que l’enjeu pour le Front de gauche est d’importance. Il s’agit ni plus ni moins de reconquérir le Pas-de-Calais. En théorie, cette terre qui a vu naître Robespierre (à Arras) et Maurice Thorez (à Noyelles-Godault) est propice. Elle a été le berceau des plus grandes conquêtes du monde du travail : la durée du travail, les conventions collectives, la représentation des travailleurs… « Ces avancées ont été d’abord acquises dans la lutte des mineurs, puis se sont diffusées au reste du pays, rappelle Laurent Maffeïs, directeur de cabinet de Mélenchon (voir ci-contre). Le bassin minier a été un laboratoire du droit social. Nous voulons montrer qu’avec le Front de gauche d’autres conquêtes sont possibles. » Avec un score à la présidentielle de 15 % – soit 4 points de plus que la moyenne nationale –, rien ne semble en effet impossible pour le mouvement.

Pourtant, malgré l’ancrage historique de la culture ouvrière dans la région, cela fait vingt ans qu’aucun député communiste n’a été élu dans le Pas-de-Calais. Au gré de la fermeture des mines, des usines de textile et de sidérurgie, l’engagement politique s’est peu à peu étiolé, laissant place à la misère, à l’amertume… et à l’extrême droite. Outre sa forte présence à Hénin-Beaumont, où s’est installé l’état-major lepéniste, Marine Le Pen a dépassé les 30 %, le 22 avril, dans le bassin minier : « À Herne, à Méricourt, dans beaucoup de villes communistes, le FN a fait des scores incroyables… On est tombés des nues », reconnaît Bruno Troni. « Dans le coin, où on ne voit parfois pas l’ombre d’un immigré à 10 km à la ronde, il s’agit en réalité d’un racisme social, pas de couleur de peau », analyse Laurence Sauvage, la responsable départementale du Parti de gauche, qui souligne le ras-le-bol d’une bonne partie de la population qui, quand elle n’est pas renvoyée à Bienvenue chez les Ch’tis, est associée au FN. Originaire du Pas-de-Calais, habitante de Fruges et candidate sur la 4e circonscription, Laurence Sauvage espère, sans trop y croire, atteindre les 12,5 % pour se maintenir au second tour. Mais pour elle, là n’est pas le principal : « La dynamique Front de gauche à la présidentielle a été une piqûre de vitamine pour le PCF local. Le militantisme que nous proposons est bien différent de ce qui se fait d’habitude. D’abord parce que nous n’agissons pas seulement pendant les périodes électorales… Il y a tout un travail d’éducation populaire à mener auprès des habitants. »

Dans cette fédération PCF « orthodoxe », où 75 % des militants avaient voté pour André Chassaigne lors de la désignation du candidat à la présidentielle, le FG semble, mine de rien, avoir pris ses marques. « ça fait dix ans que je dis qu’à force d’être inodore, incolore et sans saveur, le PC ne sert à rien », lâche Jacky Hénin, communiste depuis ses 18 ans, qui rappelle vertement que le PCF avait fait 8 % aux législatives de 2007. « Il y a un vrai “effet Mélenchon”. Les gens me disent qu’enfin il y a un politique qu’ils comprennent », ajoute Bruno Troni. Dans un gymnase à deux pas du port de Calais, juste avant le meeting du soir, Jean-Luc Mélenchon et Jacky Hénin sont assis devant une quarantaine de salariés de SeaFrance. L’ambiance est à la fois joyeuse et inquiète. La reprise par les salariés de la compagnie maritime pour en faire une Scop se précise, mais on n’est sûr de rien. « Nous, ça fait trois ans qu’on morfle, dit un salarié à l’adresse de Mélenchon. On a voté pour la gauche contre Nicolas Sarkozy, mais maintenant, il faut y aller ! »