Engrenages, sur C+ : La vie devant vous

La série Engrenages, sur Canal +, puise dans l’actualité pour mener une série policière haletante et juste.

Jean-Claude Renard  • 13 septembre 2012 abonné·es

Au commencement tombe la découverte nocturne d’un cadavre déchiqueté par une explosion. Suit son autopsie. Cru sur cru. Puis un sans-papiers malien, qui travaille en France depuis dix ans, paye ses impôts, bientôt père, et dénoncé par une guichetière de banque auprès de la police. Mené aussitôt dans un centre de rétention administrative (CRA). Puis encore la reconstitution d’une arrestation tournant à la bavure. Des plans serrés, rapprochés sur les personnages, une caméra souvent tenue à l’épaule, un rythme dynamique (sinon dynamité). Des scènes trempées d’une lumière virant tantôt sur le vert et glauque, tantôt sur le jaune pisseux. Du réalisme accentué.

Déployée en douze épisodes de 52 minutes, la série Engrenages, dont Canal + diffuse aujourd’hui la saison 4, relate le tout-venant d’un groupe de la Direction de la police judiciaire (DPJ). Avec des histoires qui se croisent, se décroisent, s’avancent parallèlement, des enquêtes qui s’additionnent. Filatures, arrestations, perquisitions, poursuites. Les saisons précédentes s’étaient agitées dans les petites frappes, la délinquance, les mœurs, le braquage, le trafic de stupéfiants. Cette fois, écrite par sept scénaristes, et filmée par Jean-Marc Brondolo, Virginie Sauveur et Manuel Boursinhac, elle monte d’un cran dans la réalité, puisant dans l’actualité politique et sociale. Avec, peut-être non sans hasard, le juge Gilbert Thiel comptant parmi les conseillers techniques (jouant aussi le rôle d’un président de cour), même si « toute ressemblance avec des personnes ou des faits existants ou ayant existé serait fortuite et involontaire », précise le générique.

Ainsi donc, l’« ultra-gauche », la contestation citoyenne, les sans-papiers ou la réforme de la garde à vue sont autant de sujets au cœur de la série. Une « ultra-gauche » relevant davantage du groupuscule autonome terroriste, constitué d’à peine trois ou quatre personnes, emmené par un impulsif dont les idées se résument à « crever la finance, le capitalisme, créer un monde nouveau », ou déclarant encore vouloir « déconstruire pour mieux reconstruire, avec ou sans victimes ». Si l’on est très loin de l’affaire Coupat, ce volet est un brin caricatural, seul bémol d’une fiction remarquable de justesse. En revanche, la réforme de la garde à vue, qui autorise la présence d’un avocat dès les premières heures – présence mal perçue par la police, forcément –, est observée sans détour dans la série. Très juste, encore, le combat inlassable d’un collectif de défense des sans-papiers, organisant ses squats, ses refuges, les manifestations devant un CRA, les aides juridictionnelles. Et dans cette justesse, ce réalisme que les auteurs tiennent au collet, tout y passe. Un patron de police ambitieux et carriériste, obsédé par la culture du chiffre, l’obligation de résultats, « n’importe lesquels, pourvu qu’il y ait des résultats », qui « aime les flics 100 % flics », c’est-à-dire des machines sans états d’âme ; des interpellations violentes, des perquisitions sans mandat, des interrogatoires musclés ; des rivalités de service et des chantages ; un centre de rétention administrative inhumain ; des querelles de hauts magistrats ; une justice qui « privilégie les réseaux, la politique, les services qu’on rend et les ascenseurs qu’on renvoie »  ; un juge véreux et corrompu, un autre intègre, tricard et placardisé, en butte à sa hiérarchie ; la prime à la médiocrité.

Les auteurs n’épargnent donc personne, pas même cette équipe de la DPJ, multipliant les actes illégaux, loin d’être des héros exempts de tout reproche, dressant de fait un tableau contemporain bien sombre. Un monde qui bat de l’aile, transpire le dysfonctionnement, la mouise déliquescente, où trinquent les valeurs morales, où les institutions se délitent. Comme le miroir d’une époque.

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