Séralini, toujours en alerte

Au nom de sa responsabilité scientifique, le chercheur dénonce depuis des années l’indigence des études sanitaires menées sur les transgéniques.

Patrick Piro  • 27 septembre 2012 abonné·es

Jusqu’à la semaine dernière, la France n’avait guère entendu parler de Gilles-Éric Séralini. L’homme a pourtant des états de service qui inspirent la confiance. Professeur de biologie moléculaire, chercheur à l’Institut de biologie fondamentale et appliquée, et codirecteur du pôle « risques, qualité et environnement durable » à l’université de Caen, il est, depuis une quinzaine d’années, expert auprès du gouvernement français, de l’Union européenne et de quelques pays étrangers. En 2008, ses travaux lui ont valu le rang de chevalier de l’Ordre national du mérite.

Cependant, l’homme n’est pas du genre tapageur ni coureur de plateaux. Déterminé mais pondéré dans le ton, il répugne aux effets de manche et met en avant sa responsabilité de chercheur pour justifier ses positions. Le biologiste est d’abord identifié pour ses recherches sur la toxicité du Round-up, l’herbicide phare du géant des biotechnologies Monsanto. Mais c’est au sein du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen) qu’il commence à se tailler une réputation « d’anti-OGM ».

Ce groupe international d’experts sur les risques des biotechnologies, créé en 1999 par Corinne Lepage, conteste depuis des années la validité des études sanitaires présentées par Monsanto pour faire valider ses maïs OGM. Principalement le MON 863 ainsi que le NK 603 – objet de la recherche que Séralini vient de publier avec son équipe dans Food and Chemical Toxicology, revue à la réputation établie. Pour Gilles-Éric Séralini, les exigences imposées aux industriels pour mettre leurs OGM sur le marché alimentaire ou dans l’environnement – durée des essais, transparence, indépendance, etc. – sont largement insuffisantes, en comparaison des critères établis, par exemple, pour les médicaments issus d’organismes transgéniques. Premier fait d’armes notable, en 2005 : après plusieurs recours, dont ceux de la Criigen, Greenpeace obtient la divulgation de tests sanitaires menés par Monsanto sur des rats avec son NK 603. L’association écologiste demandera à la Criigen de les analyser. Celle-ci y trouvera de nombreuses lacunes [^2], et son rapport causera d’importants remous, préfigurant l’étude de 2012, bien plus ambitieuse.

En 2010, Marc Fellous, président de l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV) et pro-OGM notoire, trouvera dans cette étude matière à accuser Séralini d’être « un chercheur avant tout militant anti-OGM, qui se prétend indépendant alors que ses études sont financées par Greenpeace ». Des propos qui seront reconnus comme diffamatoires par la justice. Séralini se plaît en effet à rappeler qu’il n’est ni militant ni anti-OGM, favorable par exemple à l’utilisation de techniques transgéniques en milieu confiné pour produire des médicaments. Lorsque Fellous était à la tête de la Commission du génie biomoléculaire (CGB), le chercheur l’avait déjà pris à partie pour sa complaisance envers les risques potentiels des OGM.

Aujourd’hui, avec la publication de l’étude de son équipe dans Food and Chemical Toxicology, revue à comité de lecture scientifique, le travail de Séralini atteint une forme de consécration professionnelle : alors que la recherche publique en biotechnologie est de plus en plus cadenassée par les firmes, il est parvenu à mener, avec des moyens détournés et quasi-clandestins, une investigation qui remet comme jamais en question l’innocuité supposément démontrée des OGM sur la santé. Une petite bombe qui touche les pouvoirs publics et leurs agences sanitaires, soulignant leur coupable absence d’impartialité face au monde des biotechnologies.

[^2]: Voir Politis du 8 décembre 2005.

Écologie
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