Visa pour l’image : Des clichés pas ordinaires

La 24e édition de « Visa pour l’image », à Perpignan, poursuit son travail de témoignage.

Jean-Claude Renard  • 6 septembre 2012 abonné·es

Orée 2000. Galpao da Araujo Barreto, une chocolaterie désaffectée de Salvador de Bahia, au Brésil. Sur ce front de mer, plus d’une centaine de familles se sont constituées en communauté. Des exclus lassés par la violence de la ville. Baraquements de fortune greffés sur les résidus de l’usine. Ça n’empêche pas de boire une petite bière le dimanche soir dans la cour, de jouer au billard et au bingo, de taquiner le ballon rond, ni les gosses de s’amuser dans les cages d’escalier décaties. Au fil des années, sur une superficie semblable à un terrain de foot, ces puceux, transis et traîne-savates ont développé divers services. Garderies d’enfants, magasins, bars, douches communes. De quoi forger des liens, une identité. La communauté possède ses codes sociaux, ses règles de conduite, entre lutte et résistance. Dit comme ça, la chocolaterie donne des envies d’installation. À l’image fixée par Sebastian Liste, c’est autre chose. Drogue, prostitution infantile, querelles. Même l’acte d’amour est cru, sans poésie. En mars 2011, le gouvernement a rasé les bâtiments, expulsé leurs occupants, dans la volonté d’effacer les traces de pauvreté urbaine au profit d’un embourgeoisement des lieux (dans la perspective de la Coupe du monde de foot 2014 et des Jeux olympiques 2016). Les 129 familles se sont regroupées plus loin.

Changement de continent. De décor. Au Swaziland. Terre enclavée d’un million d’habitants. Où une jeune femme sur deux est séropositive. Où l’espérance de vie est tombée, en deux décennies, de 61 ans à 31 ans. Krisanne Johnson s’est concentrée sur les rites de passage à l’âge adulte de ces êtres au contact de la maladie. Des moments de danse, de travail, des jours de déprime, de beuveries. L’image en noir et blanc cogne âprement. Des êtres en souffrance. Des femmes qui semblent rester au bord. Au bord d’accoucher. Au bord d’enterrer un proche. Au bord de l’amour. Au bord de la mort.

Le travail de Sebastian Liste et celui de Krisanne Johnson comptent parmi les plus remarquables expositions de cette nouvelle édition de « Visa pour l’image », festival international d’importance consacré au photojournalisme. Une 24e édition proposant une trentaine de reportages exposés à travers les lieux historiques de la ville avec, pour chacun d’entre eux, quarante à cinquante images. Les années précédentes avaient vu plusieurs travaux sur la guerre en Irak, en Afghanistan, sur les révolutions arabes. Des thèmes moins présents dans cette édition (sinon un hommage à Rémi Ochlik, jeune photoreporter mort à Homs, en Syrie, en février dernier). Restent des reportages qui disent les travers des continents, leurs tragédies. Des reportages qui font récit. Comme celui rapporté par Jim Lo Scalzo des États-Unis : des États agités par une foule d’extrémistes, de petits gars d’un Ku Klux Klan renaissant, des militants d’Aryan Nations, d’organisations anti-avortement, partagés entre le fanatisme et le racisme, additionnant les manifestations, les processions, calés dans leurs inquiétudes. Des pratiques et des idées d’un autre temps mais bien actuelles, aux couleurs acidulées. Qui sont aussi celles des Kommandokorps, en Afrique du Sud, nourris du sentiment d’insécurité, saisis par Ilvy Njiokiktjien. Une organisation d’élite d’extrême droite, d’origine néerlandaise, « protégeant son peuple ». Organisant des journées de formation pour ses jeunes, appelés à « devenir des vrais hommes ». Au programme de ces « Castors juniors » militarisés, encadrés par des sergents-chefs, autodéfense et tir. En guise de veillée, un discours de haine où « l’ennemi est noir ».

Articulé autour de la santé mentale dans les pays africains en conflit, le reportage de Robin Hammond n’est pas moins sombre. Au Congo, au Soudan, en Somalie, en Ouganda. Où les malades mentaux sont jugés possédés, sorciers à désensorceler que des médecins attachent, affament pour éviter de « nourrir le démon qui est en eux ». Des damnés de la société, qui portent le deuil des conflits toujours recommencés. En noir et blanc, Hammond cadre une minorité sans voix, reléguée dans les recoins obscurs d’un hôpital, d’une église, d’une prison, des crasseux pouilleux croupissant enchaînés, encagés, soumis aux diagnostics et aux méthodes de pasteurs ou guérisseurs versés dans le traitement des récalcitrants. Une histoire de plus, grave, qui semblerait d’un autre monde, et bien réelle, comme un condensé du festival.

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