À contre courant / Sur la notion de déficit structurel

Liêm Hoang-Ngoc  • 11 octobre 2012 abonné·es

Objet du TSCG, la notion de déficit structurel fait débat parmi les économistes. Elle ne repose pas sur des fondements théoriques solides, au point qu’Eurostat, la Direction générale de la Commission européenne en charge de la statistique, ne juge pas nécessaire d’utiliser cet indicateur.

Selon une première approche, le déficit structurel est calculé lorsque l’économie atteint son taux de croissance potentiel. En dehors de cette situation de plein-emploi, le déficit courant se creuse lorsque la conjoncture se détériore. Le déficit courant joue alors un rôle de « stabilisateur automatique » : les dépenses qu’il finance soutiennent la reprise, celle-ci engendre les recettes fiscales permettant de revenir en fin de course au déficit de plein-emploi. C’est pourquoi certains économistes répètent qu’il ne faut pas s’inquiéter d’une montée conjoncturelle des déficits au-dessus de 3 % du PIB en période de récession, dès lors que le déficit structurel est contenu. Pour autant, la persistance d’un certain déficit structurel traduit la permanence du volontarisme de l’État, qui reste soutenable tant que les taux d’intérêt réels restent inférieurs au taux de croissance de l’économie. Vouloir, comme le suggère le TSCG, éliminer tout déficit structurel revient à interdire toute politique discrétionnaire allant au-delà du jeu des stabilisateurs automatiques.

Cette première approche du déficit structurel est invalidée dès lors que le taux de croissance potentiel évolue sur le court terme, entraînant avec lui (en sens inverse) le déficit structurel. Une deuxième approche s’est donc développée, pour laquelle le déficit structurel se modifie sous l’effet des réformes structurelles (telle qu’une baisse du travail). Ces réformes sont censées provoquer un « choc d’offre », exerçant un impact bénéfique sur la croissance potentielle, et donc sur la résorption du déficit structurel. Cette deuxième approche est cependant invalidée dès lors que, malgré les réformes structurelles, la croissance reste inférieure à son taux potentiel, qui lui-même se dégrade, ce qui est le cas dans la plupart des pays européens.

Pour expliquer ce « paradoxe », une troisième approche, postkeynésienne, considère que le déficit structurel est susceptible d’évoluer sur le court terme au point de se confondre avec le déficit conjoncturel, et ce sous l’effet de la conjoncture elle-même ( i.e. des fluctuations de la demande). La distinction entre déficits structurel et conjoncturel perd alors tout intérêt. La conjoncture détermine le taux d’utilisation des capacités de production des entreprises. Si ce taux est faible, comme depuis 2008, même lorsque le coût du travail baisse, les entreprises n’ont aucune raison d’accroître leur stock de capital, dont une partie est inemployée. Si la baisse du coût du travail transite par une baisse des salaires, la demande peut même se contracter et les taux d’utilisation se réduire d’autant. Les entreprises ont alors intérêt à déclasser leurs machines. Il en résulte une baisse du taux de croissance potentiel de l’économie, due non à un problème d’offre, mais à une demande globale insuffisante. Les recettes fiscales font défaut et les déficits se creusent. C’est cette situation qui caractérise désormais la plupart des pays européens. Elle touchera bientôt l’Allemagne, dont la croissance est tirée par une demande extérieure à présent en berne.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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