Y a quoi à la télé ? De la daurade

De « Masterchef » (TF 1) à « Top chef » (M6), les programmes autour de la cuisine sont légion sur le petit écran. Avec tous les ingrédients pour créer l’illusion de l’authenticité.

Jean-Claude Renard  • 18 octobre 2012 abonné·es

Un panier de fruits et légumes rehaussé d’un morceau de bœuf, de condiments et d’une daurade royale. L’exercice consiste à présenter une assiette crue. Aux sept candidats d’épater un jury composé de chefs reconnus et d’un critique gastronomique. Suit la découpe d’une volaille en dix minutes devant l’œil aiguisé d’un maître d’hôtel. Puis « le test sous pression » entre les deux candidats les plus mal notés : la réalisation en une heure d’un dessert sur la base d’un fraisier, avec pour chacun un « ingrédient surprise »  ; fenouil pour l’un, céleri pour l’autre. Affaire d’imagination. Et d’audace. Pour le reste, la mise en scène s’en charge : compte à rebours, musique d’ambiance, gros plans sur le dressage de l’assiette et les suées chaudes, alternances rythmées de remarques a posteriori des candidats et commentaires du jury (parfois acidulés ; on aimerait voir les rôles s’inverser). Soit la création d’un suspense. Avec cinq minutes de publicité aux moments cruciaux.

« Masterchef » s’inscrit dans la télé-réalité. Sélection, compétition, élimination (à la première saison, en 2010, les concepteurs avaient ajouté l’humiliation). Pour les candidats, musicien, ouvrière mécanicienne, conducteur de travaux ou chef de projet en marketing, outre le fameux quart d’heure de célébrité, ce sont des rêves de changement de vie ; ce qui invite à de brefs reportages sur leur quotidien ordinaire. À la clé de la finale, au bout de huit ou dix semaines, le pactole s’élève à 100 000 euros pour contribuer à ouvrir sa propre enseigne. Un début dans la vie, appelait ça Balzac. Diffusé chaque jeudi sur TF1, « Masterchef » rassemble près de cinq millions de téléspectateurs. Tout comme « Top chef », sur M6, reposant sur le même principe, jetant sur la scène une foule de cuisiniers amateurs devant un jury d’authentiques casseroleurs.

En quelques années, les programmes autour de la cuisine sont devenus légion, déclinés plus ou moins différemment. « Fourchettes et sac à dos » sur France 5, « La cuisine des grands-mères » sur Cuisine + (groupe Canal), « Les p’tits plats de Babette » sur France Ô, « Les aventures culinaires de Sarah Wiener » sur Arte, « Un dîner presque parfait » et « Cauchemar en cuisine » sur M6. La table s’est invitée jusqu’aux talk-shows, comme « C à vous », où le menu est concocté pendant les interviews, puis dégusté devant les caméras. Autant de programmes qui connaissent un réel succès. Des émissions qui tendraient à montrer, a fortiori en temps de crise, que le public a besoin de convivialité, de bien-être, de chaleur, voire d’identification. D’autant que ce n’est plus un cador façon Raymond Oliver qui passe aux fourneaux mais monsieur ou madame tout-le-monde. On met l’accent sur la qualité des produits, sur la mise en place, sur la déco dans l’assiette et autour. La cuisine se fait signe extérieur de richesse. Dans tous les cas, les producteurs additionnent les ingrédients : les principes de la télé-réalité avec son esprit de compétition, le bien-manger, la santé, le plaisir. Et l’évasion : pas de hasard si les producteurs de « Masterchef » font cuisiner leurs candidats au bout de monde, sur des terres idylliques, ajoutant du rêve au rêve. À l’heure du virtuel, de Facebook et des smartphones, la cuisine replacerait les choses dans le bon sens, celui du concret, du partage et de l’authenticité. Car « la cuisine, c’est beaucoup plus que des recettes », disait le chef Alain Chapel. On ne veut pas seulement apprendre les trucs du chef, mais en devenir un. Un paradoxe tout de même dans ce succès d’audience : la télévision, par définition, en dehors du visuel, ne peut offrir ni le goût ni l’odorat, mais seulement un montage et un cadrage réalisés sciemment pour flatter les papilles, comme un avatar du sport spectacle.

Cet engouement correspondrait à une époque où de plus en plus de gens se mettent à cuisiner. Pas sûr. Paniers et caddies sont toujours chargés de plats conditionnés, et les livreurs de pizzas et de sushis martèlent le bitume. Tandis qu’on fait croire que madame Michu peut s’improviser cuisinière l’espace de quelques émissions. C’est une illusion de plus, que sait très bien entretenir le petit écran.

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